Source : La Gazette des communes, 7 décembre 2011.
Les monnaies officielles, "de facilitateur d’échanges, sont devenues une fin en soi", explique Patrick Viveret, philosophe et ancien conseiller maître à la Cour des comptes. Elles sont "un objet d’accumulation, un vecteur d’appropriation de la richesse au détriment du lien social et de l’intérêt collectif
Intérêt collectif
Littéralement, il s’agit bien de l’ensemble des avantages ou des bénéfices dont peut profiter une collectivité spécifique. Il ne faut donc pas le confondre avec l’intérêt général qui vise le plus grand nombre. Par exemple, dans la dénomination des SCIC, le terme d’intérêt collectif désigne les différents collèges qui composent leur sociétariat et non l’utilité sociale qu’elles se sont donnée.
Source :CNCRESS
".
Par leur utilisation spéculative, elles se sont globalement déconnectées de leur usage initial. Pour preuve, notamment, ce chiffre : 97 % des transactions en monnaies "officielles" circulent dans les sphères spéculatives et seulement 3 % dans l’économie réelle.
Monnaies complémentaires à l’euro, pas alternatives
Pour lutter contre ces dérives, des habitants de plusieurs communes de France ont créé des devises indexées à l’euro. C’est ainsi qu’après l’Abeille, première monnaie locale à voir le jour dans la commune de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne) en janvier 2010, six autres projets se sont concrétisés, grâce à des initiatives populaires, et une vingtaine de projets sont en cours d’élaboration.
Un mouvement non seulement local, mais aussi global, puisque l’on recenserait à travers le monde environ 5 000 monnaies locales qui circulent de façon complémentaire aux monnaies officielles. A noter qu’il serait plus exact de parler de « renouveau » : les monnaies locales complémentaires étaient déjà en cours à l’époque des Pharaons, entre 3 000 et 1 000 avant JC ; avant de gagner l’Europe au Moyen Age, autre grande période de prospérité.
Puis elles sont réapparues suite à la grande crise de 1929, notamment en Allemagne et en Autriche, ainsi qu’en Suisse, en 1934, année de création du WIR qui est toujours en circulation.
Les monnaies locales permettent de réaliser des échanges contre des biens ou des services proposés sur un territoire délimité. Et ce, entre des utilisateurs et des prestataires membres d’un réseau, qui s’engagent à respecter un ensemble de valeurs sociales et éthiques. Les objectifs sont multiples, parmi lesquels : faire de l’éducation populaire en permettant aux citoyens de se réapproprier les questions d’argent.
Ancrage territorial
Autres ambitions : redynamiser l’économie locale en favorisant l’ancrage territorial puisque les transactions en monnaies locales, elles, "voyagent" à 100 % dans l’économie réelle. Créer de la cohésion sociale en soudant une communauté sociale autour d’un système d’échange commun. Ou encore, défendre une certaine éthique dans une logique d’économie sociale et solidaire (ESS ESS Le terme d’Économie sociale et solidaire regroupe un ensemble de structures qui reposent sur des valeurs et des principes communs : utilité sociale, coopération, ancrage local adapté aux nécessités de chaque territoire et de ses habitants. Leurs activités ne visent pas l’enrichissement personnel mais le partage et la solidarité pour une économie respectueuse de l’homme et de son environnement. ), en conformité avec un développement humain soutenable, puisque les monnaies locales sont dédiées à l’achat de biens et de services proposés par des prestataires signataires d’une charte.
Un document qui les encourage, comme c’est le cas par exemple à Romans-sur-Isère, dans la Drôme, dans laquelle circule "la mesure", à participer à la vie locale, intégrer la dimension écologique, contribuer à une société plus décente et prendre en compte l’humain et le citoyen via des relations conviviales ou une organisation démocratique. En résumé, faire des citoyens des "consomm’acteurs".
Face à ces initiatives ascendantes, les collectivités territoriales ne sont pas en reste. Soucieuses de favoriser les activités ou les échanges qui participent de logiques d’utilités écologiques et sociales, elles aussi se lancent dans des expériences alternatives.
C’est ainsi que, dès 2006, selon le concept de Patrick Viveret, ancien conseiller référendaire à la Cour des Comptes et philosophe, trois conseils régionaux (Bretagne, Ile-de-France et Nord-Pas-de-Calais), avec l’appui de poids lourds de l’ESS (Chèques Déjeuners, Crédit coopératif, MAIF et MACIF), ont testé le SOL.
Une monnaie solidaire, ni parallèle, ni alternative à l’euro, mais un moyen complémentaire d’échanges qui fonctionne comme une carte de fidélité et permet de comptabiliser des échanges autres qu’uniquement marchands. L’objectif étant de fonder une communauté de valeurs à côté des circuits monétaires traditionnels.
Quelque peu endormie, cette expérimentation s’est réveillée grâce à la ville de Toulouse qui, au printemps 2011, a lancé – et avec succès – le SOL-Violette.
Echanger autre chose que de la monnaie
Parallèlement aux monnaies locales, les initiatives prenant comme unité de compte des échanges, non pas l’argent, mais le temps, se multiplient. En témoigne le foisonnement des Systèmes d’échanges local. Depuis 1994, année de fondation Fondation "La fondation est l’acte par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident l’affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif." du premier SEL en France, on en recense aujourd’hui 450. Objectif : remettre de l’humain au cœur de l’échange de biens, de services ou de savoirs suivant un principe de réciprocité globale.
En témoigne également l’ouverture, cet automne, de deux Accorderies, à Paris et Chambéry, à l’initiative de la Fondation Macif et avec le soutien financier de collectivités locales.
Ce système, très populaire au Québec, a pour ambition de lutter contre la pauvreté et l’exclusion en permettant aux adhérents de s’ouvrir aux autres et d’améliorer leurs conditions de vie via l’échange, non pas d’argent ou de biens, mais de temps passé à se rendre service.
Autant d’expériences qui s’inscrivent dans une perspective de solidarité, d’utilité écologique et sociale. Et non marchande.
Derrière ces initiatives se pose, in fine, la question de nos indicateurs de richesse Indicateurs de richesse Les nouveaux indicateurs entendent se substituer au PIB ou PNB, ces derniers ne prenant pas en compte un certain nombre de problématiques contemporaines pourtant primordiales dans la dynamique de transition en cours. , quand sa représentation se réduit à la monnaie à laquelle on attribue de la valeur. Comment, alors, sortir des effets pervers du PIB, ainsi que s’interrogeait Nicolas Sarkozy en février 2008 en demandant au prix Nobel d’économie Jospeh Stiglitz, de proposer de nouveaux outils de mesure de la performance d’un pays ? Cet indicateur ne s’intéresse pas, en effet, à la nature des activités dans le calcul de nos richesses, mais uniquement au fait de savoir si elle génère un flux monétaire… Ce qui est nettement insuffisant pour traiter de questions fondamentales, qu’elles soient d’ordre social, sanitaire ou écologique, tant pour les Etats que les collectivités locales.
Commentaires
1. Economie sociale et solidaire : quand les territoires inventent leur monnaie, 7 février 2013, 16:52, par Bertrand
Bonjour,
A Montpellier aussi, un projet de monnaie locale complémentaire Monnaie Locale Complémentaire Une monnaie locale est une monnaie complémentaire de la monnaie officielle, l’euro. a été lancé en 2012. Il est porté par l’association Association Une association est le regroupement d’au moins deux personnes, mettant leurs activités ou leurs connaissances en commun, par un contrat d’association (contrat de droit privé). L’objectif de cette convention doit avoir un but autre que le partage de bénéfices entre les parties, d’où l’appellation d’"association à but non lucratif". ADESL (Alternatives pour un Développement Économique et Social Local).
Pour suivre le projet, prendre contact ou même y participer : http://adesl.net
Salutations solidaires
Bertrand