La démocratie : principe fondateur de l’économie sociale et solidaire
L’économie sociale et solidaire a toujours placé la démocratie au cœur de son organisation. Qu’il s’agisse du modèle coopératif, associatif ou mutualiste, la finalité n’est pas la recherche de profits mais bien celle de l’intérêt général
Intérêt général
La formule intérêt général désigne la finalité d’actions ou d’institutions censées intéresser et servir une population considérée dans son ensemble.
Source : Wikipedia
; cela se ressent dans les modèles de gouvernance
Gouvernance
La gouvernance est l’ensemble des règles et méthodes organisant la réflexion, la décision et le contrôle de l’application des décisions au sein d’un corps social. La gouvernance évoque souvent le « bon gouvernement » et donc des pratiques participatives et inclusives. La gouvernance renvoie aux sphères économiques, sociales, politiques, etc.
où s’applique le principe démocratique « une personne une voix ». Même si l’exercice peut relever quelquefois plus de la théorie que de la pratique, il reste néanmoins des formes d’organisations qui portent dans leurs statuts l’approche d’une démocratie vertueuse.
Les entreprises coopératives, dont le fonctionnement est basé sur la participation économique de leurs membres en capital et en opérations [2] est un bon exemple. Ainsi, dans les SCOP SCOP Société coopérative et participative (Société Coopérative Coopérative Une coopérative est un groupement d’individus (commerçants, consommateurs, producteurs…) choisissant de mettre leurs moyens en commun afin de satisfaire leurs besoins. et Participative) les salariés détiennent 51% du capital social et 65% des droits de vote [3]. Le ou les dirigeant(s) sont directement élus par les salariés, ce qui permet plus de transparence et de démocratie au sein même de l’entreprise.
Les mutuelles, quant à elles, portent le sociétariat au cœur de leurs valeurs, ce qui se traduit par une adhésion volontaire ouverte à toutes et tous et un pouvoir démocratique exercé par tous les membres. Un fort ancrage territorial et une gestion démocratique qui visent à satisfaire les sociétaires et les usagers marquent également une forte préoccupation de gouvernance inclusive.
Si les pratiques de gouvernance des organisations de l’ESS ESS Le terme d’Économie sociale et solidaire regroupe un ensemble de structures qui reposent sur des valeurs et des principes communs : utilité sociale, coopération, ancrage local adapté aux nécessités de chaque territoire et de ses habitants. Leurs activités ne visent pas l’enrichissement personnel mais le partage et la solidarité pour une économie respectueuse de l’homme et de son environnement. se distinguent des organisations de « l’économie capitaliste », il est important de questionner de façon récurrente ce sujet au sein des structures pour faire évoluer la question de la représentation. A l’heure des nouvelles technologies et de la mise en place de nouvelles formes de participation citoyenne, les enjeux pour les organisations de l’ESS sont de taille.
Aller au-delà des pratiques démocratiques historiques
A l’occasion du 28ème colloque de l’Association Association Une association est le regroupement d’au moins deux personnes, mettant leurs activités ou leurs connaissances en commun, par un contrat d’association (contrat de droit privé). L’objectif de cette convention doit avoir un but autre que le partage de bénéfices entre les parties, d’où l’appellation d’"association à but non lucratif". pour le Développement des Données sur l’Economie Sociale (ADDES) en octobre 2018, qui portait sur « La gouvernance et l’ESS », Hugues Sibille, Vice-Président de l’ADDES posait un certain nombre d’interrogations actuelles : « l’ESS n’est-elle pas trop assurée de son dogme –une personne, une voix – comme une espèce de viatique démocratique définitif ? La prise en compte des différentes parties prenantes dans les gouvernances de l’économie sociale est-elle à la hauteur des enjeux démocratiques ? ».
Force est de constater que le principe « une personne, une voix » est de plus en plus difficile à garantir, notamment au sein des grandes entreprises de l’ESS et que les taux de participation aux Assemblées générales, moments clés de décision, sont globalement faibles [4]. Malgré les efforts réalisés par les instances élues pour attirer des coopérateurs, membres ou sociétaires, le pouvoir reste encore trop souvent entre les mains d’un petit nombre de personnes, bien que des efforts soient engagés sur cet aspect pour communiquer sur les décisions et les faire porter par des élus ou délégués locaux jusque dans les territoires.
Les sociétés commerciales, dernières nées de la loi ESS de 2014 dite « Loi Hamon », rencontrent elles aussi des difficultés à déterminer le modèle de gouvernance adapté à leur structure [5] et les décisions en leur sein restent trop souvent dans les mains des fondateurs et/ou des dirigeants, sans pouvoir s’ouvrir à l’ensemble des parties prenantes.
Dans le secteur bancaire et de l’assurance, ce sont des contraintes prudentielles qui pèsent de plus en plus sur les stratégies et réduisent fortement les marges de manœuvre des administrateurs. Malgré de nombreux efforts pédagogiques ou de communication, le débat est parfois réduit à l’application de la règlementation.
Il convient dès lors de repenser la gouvernance démocratique et de réinventer de nouvelles formes de débat, d’élargir les parties prenantes des structures et de ne pas se cantonner aux seuls sociétaires ou salariés pour favoriser la diversité ou encore penser la gouvernance démocratique comme un important levier dans la stratégie de développement [6].
L’ESS : un diffuseur de bonnes pratiques pour réinventer la démocratie au sein des organisations
L’économie sociale et solidaire a toujours été vecteur d’approches innovantes et ne cesse d’expérimenter le « faire ensemble autrement » au sein de ses organisations. Ainsi, de nombreuses structures de l’ESS font appel à des Civic tech telles que Kawaa, Open Source Open source Logiciel dont le code source est libre d’accès. Politics ou encore Cap Collectif pour développer de nouvelles formes de débat ou d’animation des parties prenantes. Les organisations peuvent ainsi organiser une consultation de leurs membres sur un sujet de gouvernance, mettre en place des débats via des espaces numériques spécifiques ou même organiser un vote en ligne pour parer aux manques des Assemblées générales (peu de présence physique, prise de parole parfois compliquée etc.). Le développement de ces outils numériques libres leur permet d’introduire plus de transparence et d’inclusion dans les processus décisionnels et mène ainsi à une plus large expression et une plus grande diversité des points de vue.
Au-delà de l’utilisation d’outils numériques, il est aussi nécessaire de revoir le format des pratiques actuelles en ouvrant les décisions structurantes des entreprises à toutes les parties prenantes. Les SCIC
SCIC
Société Coopérative d’Intérêt Collectif.
(Société Coopérative d’Intérêt Collectif
Intérêt collectif
Littéralement, il s’agit bien de l’ensemble des avantages ou des bénéfices dont peut profiter une collectivité spécifique. Il ne faut donc pas le confondre avec l’intérêt général qui vise le plus grand nombre. Par exemple, dans la dénomination des SCIC, le terme d’intérêt collectif désigne les différents collèges qui composent leur sociétariat et non l’utilité sociale qu’elles se sont donnée.
Source :CNCRESS
) sont pour cela un modèle intéressant à étudier et développer car elles fonctionnent sur le même principe que les SCOP tout en allant plus loin dans l’ouverture aux parties prenantes : les clients, associations, collectivités territoriales, ou citoyens qui le souhaitent sont également associés au capital et aux choix stratégiques.
A titre d’exemple, Enercoop est une SCIC avec 16 000 sociétaires - clients pour la plupart et 80 salariés [7]. La coopérative, qui a beaucoup travaillé sur sa gouvernance a choisi de décentraliser les rouages de sa gouvernance pour avoir un meilleur ancrage territorial et susciter la participation du plus grand nombre de parties prenantes. Pour cela, ils ont créé depuis 2009 neuf coopératives locales dans le cadre de l’essaimage du modèle [8]. Les deux niveaux de gouvernance (la coopérative nationale et les coopératives locales) sont en forte interdépendance au regard de leurs activités et du partage de leurs ressources. L’ensemble des personnes et des territoires sont ainsi impliqués dans toutes les décisions stratégiques.
D’autres méthodes issues de l’éducation populaire ont été expérimentées comme le tirage au sort des représentants pour travaux, l’utilisation du format world café, les décisions par consentement ou, comme l’a fait OXALIS, une Coopérative d’Activité et d’Emploi, l’organisation d’élections sans candidat [9].
Cette question de la gouvernance des entreprises se retrouve aussi dans l’actualité, au-delà même de l’ESS, avec la loi PACTE
Loi Pacte
Le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) vise à lever les obstacles à la croissance des entreprises, à toutes les étapes de leur développement : de leur création jusqu’à leur transmission, en passant par leur financement
actuellement en débat au Parlement et qui devrait permettre aux Conseils d’administration des entreprises d’inscrire une « raison d’être
Raison d'être
La raison d’être d’une entreprise désigne la façon dont elle entend jouer un rôle dans la société au-delà de sa seule activité économique. En France, elle a notamment été définie par Jean-Dominique Senard dans le cadre de son travail mandaté par le gouvernement français sur l’objet social des entreprises : « La raison d’être permet de joindre le passé au présent ; c’est l’ADN de l’entreprise. Elle n’a pas de signification économique, mais relève plutôt de la vision et du sens ».
Source : wikipédia
» dans leurs statuts. Raison d’être qui correspond à « un ensemble de finalités qu’une entreprise entend poursuivre au-delà de la maximisation du profit, sans pour autant inscrire des objectifs sociaux ou environnementaux dans ses statuts [10] ».
Cette « raison d’être » pourra peut-être constituer une avancée vers des gouvernances plus ouvertes au sein des entreprises capitalistiques.
Toutes ces innovations autour de la gouvernance démocratique et de la participation citoyenne doivent continuer à être expérimentées, essaimées et pourquoi pas, devenir la norme…
Commentaires
1. La démocratie au sein de l’ESS, 28 février 2019, 16:55, par DIEVAL Maurice
Bonjour,
Vous écrivez : "la finalité n’est pas la recherche de profits mais bien celle de l’intérêt général Intérêt général La formule intérêt général désigne la finalité d’actions ou d’institutions censées intéresser et servir une population considérée dans son ensemble.
Source : Wikipedia ". Il me semblerait, par expérience personnelle de gestion, plus juste de dire que la finalité est la recherche de profits nécessaires au développement de l’intérêt général. Intérêt général et profits ne sont pas antinomiques, de mon point de vue.
Le tout bien sûr, dans un fonctionnement démocratique.
En vous remerciant pour vos publications
cordialement