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Publié le 10 janvier 2017
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Les Tiers-lieux : là où le travail se transforme

L’expression « Tiers-lieux » est une traduction de la notion de « Third Place » issue de l’ouvrage de Ray Oldenburg, The Great Good Place, paru en 1989. L’analyse du sociologue américain montre l’existence de lieux tiers, par opposition aux deux espaces que sont l’habitation et le lieu de travail : ces derniers se distinguent par un certain isolement de l’individu, à l’inverse de Tiers-lieux qui offrent la possibilité de nouer des relations sociales.

Il ne s’agit pas, dans cette étude, d’une description normative ou programmatique : ce sont des espaces existants qui sont étudiés, comme des cafés, bars, librairies, bureaux de postes, salons de coiffure, etc. Ces endroits sont caractérisés par : des services gratuits ou peu chers, une bonne accessibilité, des « habitués » qui s’y réunissent régulièrement, la convivialité et, le plus souvent, de quoi se restaurer. Oldenburg pointe la valeur sociale de ces lieux inclusifs pour le développement de l’engagement citoyen et la dynamique démocratique : les personnes y évoluent dans un contexte d’égalité sociale (on n’y juge pas le statut social de l’individu), y prennent l’habitude de s’associer et y accèdent à une forme de soutien du groupe. Les Tiers-lieux sont avant tout des endroits de rencontre et de conversation informelle, constructive et joviale.

Aujourd’hui : comment caractériser les Tiers-lieux ?

A la différence de ce qu’étudiait Oldenburg, de nombreux espaces se créent aujourd’hui qui se revendiquent du nom de Tiers-lieux. Combien sont-ils en France aujourd’hui ? Difficile de le dire. Néo-nomade, plateforme de réservation d’espaces de travail partagés, en dénombre plus de 800 en France, mais en prenant en compte les espaces de coworking, les télé-centres et les centres d’affaires beaucoup plus classiques, et sans se pencher sur les FabLabs par exemple. La Chambre de Commerce et d’Industrie d’Ile-de-France en comptabilise 138 sur son territoire, avec des critères un peu plus restrictifs. Dans tous les cas, le nombre de Tiers-lieux est en forte augmentation sur la période récente, et ce d’autant plus que des acteurs d’envergure nationale et internationale s’intéressent à ce marché en plein développement, au risque de perdre l’esprit fondateur des Tiers-lieux portés par de petites coopératives ou associations. L’enjeu de la définition du cadre des Tiers-lieux est donc important – même s’il ne doit pas enfermer ces espaces mouvants dans des cadres trop rigides. On peut observer que les Tiers-lieux allient notamment :

  • Des espaces de travail pour des travailleurs individuels indépendants ou des salariés à distance,
  • Des bureaux mutualisés pour de petites et jeunes structures,
  • Des espaces de détente et de convivialité (cuisine commune, café, etc.),
  • Des FabLabs, c’est-à-dire des laboratoires de fabrication avec des machines professionnelles mises en commun et qui s’appuient notamment sur l’impression 3D,
  • Eventuellement des espaces de création et de représentation artistiques, se rapprochant sur certains points des centres culturels (comme le Centre socio-culturel Jean-Paul Cost d’Aix en Provence)
  • De loisirs en commun : potagers (par exemple à la Maison Jules Verne à Aurec sur Loire), réparation, upcycling, ateliers d’initiation et de perfectionnement au numérique (la Quincaillerie Numérique à Guéret), etc.,
  • Des lieux de vente de produits en circuits courts, etc.
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Ils peuvent être plus ou moins ancrés au niveau local, plus ou moins ouverts vers le grand public, plus ou moins inscrits dans les problématiques de transition, plus ou moins coopératifs (dans leur gouvernance, leur statut juridique, leurs activités) … Les Tiers-lieux sont aussi très divers dans leur ancrage : cela va du milieu rural, où l’implantation de ce type de lieux peut contribuer au développement du territoire (par exemple : Lab’rousse dans la Creuse), jusqu’à l’implantation urbaine, qui s’appuie souvent sur la réhabilitation et la réoccupation de friches urbaines (par exemple Le Mixeur à Saint-Etienne).

Dynamiques du changement sociétal, ou simple mutualisation de moyens ?

D’une manière générale, l’un des enjeux de ces structures est de mutualiser des locaux, des outils et parfois des services que de petites structures auraient du mal à acquérir seules. Pour les travailleurs indépendants, c’est aussi une façon de rompre l’isolement du travail chez soi. Ainsi peuvent également naitre des dynamiques communes qui s’appuient sur la complémentarité des acteurs du lieu. Toutefois, ces critères a minima sont plus proches de la juxtaposition rationnelle d’initiatives que des dynamiques citoyennes, exploratoires, créatrices que la notion de Tiers-lieux porte. Pourtant, les activités qu’organisent certains de ces lieux sont représentatives d’une volonté de réflexion citoyenne :

  • Aux enjeux des Communs, déclinés du côté numérique avec des Install parties et Hackathons (rendez-vous autour de l’installation et du codage de logiciels libres) et du côté de la production locale avec les jardins partagés,
  • Aux enjeux de la transition environnementale et citoyenne,
  • Aux enjeux de la démocratie et de la participation,
  • Aux enjeux de la diffusion d’idées et de savoirs…

C’est en ce sens que la Movilab a conçu un Manifeste des Tiers-lieux qui insiste, en plus des aspects de lieu et de collectif, sur le lien de ces espaces avec le numérique et sur les notions de gouvernance et de travail :

  • Lien avec le numérique : les Tiers-lieux s’inspirent fortement de la culture du libre, telle qu’elle existe dans les milieux hacktivistes. Cela a une implication sur la conception de la hiérarchie, qui est inexistante dans le Tiers-lieux, selon le manifeste.
  • La gouvernance : la place des clients-usagers du Tiers-lieux est une question importante. « Le Tiers-Lieux donne une force de co-création à ses usagers. Ils sont associés dans le développement de la structure. Ils peuvent transformer les services du Tiers-Lieu, en créer de nouveaux, etc. »
  • Le travail : le travail en Tiers-lieux a pour objectif de répondre à la crise du travail et aux problématiques économiques et écologiques. C’est donc la recherche d’une nouvelle façon de travailler, plus transversale, plus collective, plus créative. Les profils divers des travailleurs et l’organisation du lieu permettent le partage de réflexion et d’expérience et l’apprentissage en continu. Comme le note par ailleurs la coopérative Tiers-lieux, ces nouvelles façons de travailler vise à ré-enchanter nos modes de travail, dans un contexte où 90% des salariés se déclarent désengagés et motivés d’abord par le salaire et 28%, clairement malheureux.

L’évolution du statut et des usages du travail est déterminante pour comprendre le développement des Tiers-lieux. L’essor du travail à distance et du coworking, grâce au développement du travail par internet, vient amplifier encore le mouvement. Mais ce qui, initialement, est revendiqué comme un espace non seulement de travail, mais surtout de rencontre, de dynamique créative et innovante, d’imbrication d’enjeux citoyens et de création de biens et de services, peut ainsi perdre cette particularité de « repenser le travail » : des espaces de simple colocation de bureaux, des télé-centres ou des centres d’affaires peuvent ainsi chercher à apparaitre comme un Tiers-lieux, alors qu’ils n’apportent qu’une simple mutualisation d’espace et font disparaitre coopération et co-construction.

Pour garder leur âme, les Tiers-lieux, dans toutes leurs spécificités territoriales et d’activités, ont tout intérêt à revendiquer haut et fort leur approche militante de la transformation de nos modes de travail et d’organisation.

Crédit image : Dessin Etienne APPER / Unsplash

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