Communication : mais de quoi parle-t-on ?
Le premier reproche qui peut être fait, de façon plus ou moins explicite, aux activités de communication dans le monde des structures de l’ESS ESS Le terme d’Économie sociale et solidaire regroupe un ensemble de structures qui reposent sur des valeurs et des principes communs : utilité sociale, coopération, ancrage local adapté aux nécessités de chaque territoire et de ses habitants. Leurs activités ne visent pas l’enrichissement personnel mais le partage et la solidarité pour une économie respectueuse de l’homme et de son environnement. est qu’elles relèveraient de pratiques opposées aux principes sociaux et solidaires. Communication, marketing, ciblage : autant de "gros mots" utilisés par les entreprises capitalistes et qui de ce fait seraient dangereux à adopter pour les structures de l’ESS, sous peine d’y perdre leur particularité. Il est intéressant de remarquer qu’aucune étude de grande ampleur n’a examiné ce phénomène : ce sont les expériences communes qui tendent à montrer une telle récurrence. Le Manuel de communication à l’usage des entrepreneurs sociaux et associatifs [1] se fonde sur le constat que "mettre trop en avant ses actions est fréquemment vécu comme un renoncement – au moins partiel – aux valeurs propres à l’ESS". De même, une étude de terrain qualitative menée auprès d’acteurs de l’ESS en Ile-de-France [2] constate que ceux-ci se rejoignent dans un certain discours : "La communication est une spécialité de l’économie classique et à ce titre elle inquiète un peu : [...] ce serait une intrusion d’un procédé du libéralisme."
Paradoxalement, c’est pourtant bien de communication qu’il est question dans l’idée même d’intérêt général
Intérêt général
La formule intérêt général désigne la finalité d’actions ou d’institutions censées intéresser et servir une population considérée dans son ensemble.
Source : Wikipedia
et d’intérêt collectif
Intérêt collectif
Littéralement, il s’agit bien de l’ensemble des avantages ou des bénéfices dont peut profiter une collectivité spécifique. Il ne faut donc pas le confondre avec l’intérêt général qui vise le plus grand nombre. Par exemple, dans la dénomination des SCIC, le terme d’intérêt collectif désigne les différents collèges qui composent leur sociétariat et non l’utilité sociale qu’elles se sont donnée.
Source :CNCRESS
: dès lors qu’il s’agit de créer les possibilités de se rassembler, de créer et de gérer ensemble, de militer en faveur de changements sociaux ou environnementaux, ou même de proposer des biens et services à destination de certains publics, plus ou moins spécifiques, on parle bien de communication. Les structures de l’ESS sont, d’entrée de jeu, inscrites dans une logique d’information et de sensibilisation aux valeurs qu’elles portent et aux solutions qu’elles apportent.
La communication peut acquérir ses lettres de noblesse dès lors qu’elle n’est pas comprise comme une coquille vide servant à simplement saturer les canaux et à influencer les comportements sans prise de conscience de la part des "publics". Et elle concourt ainsi à la stratégie d’ensemble de la structure. Gabrielle Mirbeau, responsable de communication dans un cabinet comptable de l’ESS, explique : "Communiquer, cela commence par la communication inter-personnelle : c’est cela qui va permettre de construire un projet comme le nôtre avec toutes les parties prenantes et assurer que le processus s’inscrive dans le temps, avec confiance." Avant de se décliner en flyers, sites web ou réseaux sociaux, la communication est, au sens propre, ce qui permet de communiquer au sein de la structure et entre la structure et les partenaires et parties prenantes : elle structure l’inter-connaissance, la médiation, la co-construction et les liens partenariaux. Si les messages peuvent être déclinés selon la place de l’interlocuteur dans ses liens avec la structure, cela ne signifie pas qu’ils cherchent à mentir ou occulter, mais bien plutôt à donner l’entière information dont a besoin chaque partie prenante. Comme dans tout processus relationnel social et solidaire, c’est la transparence et l’équité qui feront la qualité du lien.
Les valeurs, est-ce "vendeur" ?
Dès lors que sont levés les doutes quant à la probité de la communication en tant que telle, demeure la question centrale des structures sociales et solidaires, construites autour de valeurs fortes qui structurent l’ensemble de leur stratégie : comment en parler ? Ces difficultés sont directement liées au cœur de métier de chaque structure et aux préjugés qui y sont attachés. Par exemple, Franck Carlu, directeur d’une structure de l’insertion par l’activité économique (SIAE), témoigne de la nécessité de ne pas toujours insister sur l’aspect social de l’insertion auprès de ses interlocuteurs qui, lorsqu’ils ne sont pas sensibilisés à ces enjeux, sont susceptibles d’y attacher des a priori négatifs et de craindre pour le professionnalisme de la structure. Autre exemple : comment parler des enjeux environnementaux centraux d’une structure, sans que ces valeurs ne créent un sentiment de culpabilisation auprès de publics peu "écolos" et donc un rejet ? Afficher ses valeurs fondatrices pourraient ainsi apparaître comme un frein à leur diffusion !
Face à ce paradoxe, le Manuel de communication recommande, en plus d’établir très clairement les valeurs fondatrices de sa structure en interne, de savoir où l’on désire poser son "curseur valeurs". La question ainsi posée est : "Les valeurs sont centrales au cœur de votre projet, mais doivent-elles automatiquement être centrales dans votre message de communication ?" Le curseur permet d’ajuster le positionnement de la communication vis-à-vis des valeurs fondatrices en fonction des supports et de leurs destinataires – sans rien retirer des valeurs qui portent le travail quotidien de la structure.
Les structures de l’ESS semblent également avoir de plus en plus conscience de la portée positive de ces valeurs, notamment depuis qu’elles sont utilisées à tort par des projets qui ne sont ni sociaux, ni solidaires, ni environnementaux mais qui s’en réclament (phénomènes appelés "greenwashing Greenwashing Définition " et "socialwashing".) Les valeurs de démocratie partagée, de respect des personnes et de l’environnement, d’inclusion, etc. ont le vent en poupe : les acteurs de l’ESS doivent vaincre leur timidité à en parler et, en s’appuyant sur les preuves de leur travail de terrain, montrer que ces valeurs permettent de créer des solutions réelles aux besoins sociaux et environnementaux.
C’est ainsi que leur communication peut prendre une place centrale dans le changement sociétal. Au point d’ajuster toujours au plus juste leurs valeurs et leurs actions, grâce à l’attention portée par les publics à ces valeurs. Par exemple, le responsable de communication d’une entreprise de commerce équitable Commerce équitable Construire un modèle différent d’échanges Nord-Sud, basé sur d’autres rapports entre les consommateurs des pays riches et les producteurs des pays pauvres. rapporte que "les consommateurs nous challengent sur tout. [...] On a créé une pâte à tartiner aussi bonne que le Nutella, mais naturelle et responsable, avec des ingrédients bio, garantis sans OGM, dont le cacao et le sucre (de canne) sont achetés aux conditions du commerce équitable aux producteurs et dont on compense toutes les émissions en CO2. Des consommateurs nous ont accrochés sur le fait que le Nutella n’est pas un modèle nutritionnel ! On n’a jamais fini de progresser !" [3] Preuve que, loin d’être des freins, les valeurs peuvent être le ferment d’une exigence partagée et d’un dialogue constructif...
Valeurs de ma structure et valeurs de l’ESS : comment se nourrir l’un de l’autre
A l’échelle de chaque acteur, la communication concerne d’abord l’information, l’image et la notoriété de sa propre association Association Une association est le regroupement d’au moins deux personnes, mettant leurs activités ou leurs connaissances en commun, par un contrat d’association (contrat de droit privé). L’objectif de cette convention doit avoir un but autre que le partage de bénéfices entre les parties, d’où l’appellation d’"association à but non lucratif". , coopérative Coopérative Une coopérative est un groupement d’individus (commerçants, consommateurs, producteurs…) choisissant de mettre leurs moyens en commun afin de satisfaire leurs besoins. , mutuelle Mutuelle Une mutuelle est un groupement de personnes morales de droit privé à but non lucratif, dont l’adhésion est volontaire. , fondation Fondation "La fondation est l’acte par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident l’affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif." , entreprise. Ce sont les idées défendues et les solutions créées par chaque structure qui seront d’abord transcrites dans la stratégie de communication. Mais ces particularités ne font pas disparaître les points communs de l’économie sociale et solidaire, sur lesquels les acteurs n’hésitent pas à s’appuyer grâce à sa notoriété grandissante. L’exemple de la SIAE cité plus haut est éclairant : son directeur explique qu’avec un interlocuteur qui ne s’intéresse pas à l’insertion, "[il] préfère parler d’économie sociale et solidaire. La notion d’ESS est de plus en plus connue et elle permet de parler de [la] mission [de son association] de replacer l’humain au cœur de l’action, sans parler directement d’insertion."
Mais les acteurs ne se contentent pas de s’appuyer sur les grands principes de l’ESS pour justifier leur action : de façon complémentaire, ils nourrissent l’ESS de pratiques concrètes qui font vivre ces valeurs au quotidien. Au sein du cabinet comptable de l’ESS évoqué, l’enjeu est aussi de promouvoir la gouvernance Gouvernance La gouvernance est l’ensemble des règles et méthodes organisant la réflexion, la décision et le contrôle de l’application des décisions au sein d’un corps social. La gouvernance évoque souvent le « bon gouvernement » et donc des pratiques participatives et inclusives. La gouvernance renvoie aux sphères économiques, sociales, politiques, etc. démocratique et la co-construction auprès des structures accompagnées : pour cela, la pédagogie repose beaucoup sur la preuve par l’exemple. Et cet exemple est la structuration du cabinet lui-même en SCIC SCIC Société Coopérative d’Intérêt Collectif. , permettant aux parties prenantes d’intégrer la gouvernance pour "donner envie" de développer ces modèles.
L’économie sociale et solidaire a tout intérêt à s’appuyer ainsi sur les expériences réussies qui se développent partout, pour démontrer par la preuve que ses valeurs sont désirables.
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Commentaires
1. Bravo pour votre article & focus sur la communication responsable , 7 décembre 2017, 14:22, par Julie SCHWARZ - Econovia
Bonjour à toute l’équipe du Labo,
Bravo pour votre article et de mettre en lumière la question de la communication dans le secteur de l’Economie Sociale et Solidaire. Cet article est pédagogique et pointe bien le enjeux de la communication. La communication est un levier de transformation sociale, économique et environnemental dans un secteur en pleine conduite du changement.
J’ajouterai un autre enjeu, celui de la professionnalisation du secteur.
En effet, faire comprendre aux acteurs que la communication est un métier, qu’élaborer une stratégie de communication, formaliser un positionnement ou définir une plateforme de marque identitaire ne s’improvise pas est essentiel dans la mise en place d’une démarche de réflexion stratégique. SCela exige de maîtriser une méthodologie spécifique et de mobiliser des experts compétents et de connaitre les principes de gouvernance Gouvernance La gouvernance est l’ensemble des règles et méthodes organisant la réflexion, la décision et le contrôle de l’application des décisions au sein d’un corps social. La gouvernance évoque souvent le « bon gouvernement » et donc des pratiques participatives et inclusives. La gouvernance renvoie aux sphères économiques, sociales, politiques, etc. partagée.
Pour compléter cet analyse avec un regard d’expert, je vous invite d’ailleurs à lire ce numéro spécial Acteurs de Changement sur la Communication Responsable qui vient de sortir en octobre dernier sur : http://econovia.fr/wp-content/uploads/2017/10/Acteurs-de-changements-HD-VF.pdf
La communication sociale et solidaire présente de beaux défis ses prochaines années. Et nous, communicants responsables, seront je l’espère capable de les relever !
Julie Schwarz
d’Econovia
2. Une démarche fondamentale pour nous ! Merci donc au Labo ;-), 12 décembre 2017, 11:53, par Francois Longerinas
Bonjour à toutes et à tous et un grand merci au Labo de placer ce thème à la Une ;-)
Je renchéris sur les propos de Julie, qui a d’ailleurs largement contribué à l’émergence d’une communication responsable, bien-sûr dans le cadre d’Econovia, mais aussi dans la mise en œuvre de la formation qualifiante de Responsable de communication dans l’ESS ESS Le terme d’Économie sociale et solidaire regroupe un ensemble de structures qui reposent sur des valeurs et des principes communs : utilité sociale, coopération, ancrage local adapté aux nécessités de chaque territoire et de ses habitants. Leurs activités ne visent pas l’enrichissement personnel mais le partage et la solidarité pour une économie respectueuse de l’homme et de son environnement. à l’émi. Lancée il y a maintenant quatre ans, ce parcours est d’ailleurs en cours de certification par l’Etat (il fallait avoir tenu trois promos pour ce faire). Nombreuses et nombreuses sont les acteurs de l’ESS qui y interviennent : Jean-Louis Laville, Guillaume Chocteau, Fabrice Berrahil, Mathilde Bardel, Philippe Merlant, Bruno David, Anne Degroux... et j’en passe.
Pour en savoir plus : https://www.emi.coop/responsable-de-communicationde-leconomie-sociale-et-solidaire/
Avec nos amitiés sociales et solidaires.
François Longérinas (SCOP SCOP Société coopérative et participative émi-cfd)