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Publié le 25 septembre 2018
S'installer paysan
Mots clés
ESS
agriculture
alimentation durable
territoire

Comment l’ESS appuie l’installation des nouveaux agriculteurs

Les agriculteurs ne représentent plus que 3% de la population française (contre 27% en 1954) et, chaque année, on compte trois départs pour une seule installation d’agriculteur… mais près d’un tiers de ces installations sont le fait de personnes qui n’étaient pas agricultrices auparavant ! Peut-être le signe d’une forme de renouveau agricole, à l’heure où la question de la relocalisation de la production alimentaire devient un enjeu de société majeur. Comment devient-on agriculteur et en quoi les acteurs de l’économie sociale et solidaire développent-ils des outils pertinents pour l’accompagnement à ces nouvelles installations ?

Qui sont les nouveaux agriculteurs et quels sont leurs besoins ?

Les personnes qui choisissent une reconversion professionnelle vers les métiers agricoles alors qu’ils ne sont pas issus du milieu sont appelés, administrativement, « hors cadre familiaux » (HCF). Ils représentent aujourd’hui 30% des nouvelles installations aidées, soit deux fois plus qu’en 1993 – et leur activité est pérenne avec 90% d’entre eux toujours en activité 10 ans après leur installation1. « Le renouvellement des générations agricoles sera-t-il bientôt assuré par des citadins ?2 »

C’est une véritable tendance qui se développe depuis un quart de siècle et qui peut répondre au moins partiellement aux départs dans le milieu agricole tout en répondant à la demande croissante en produits locaux et bio. Car la majorité des néo-paysans souhaite développer le bio et les circuits courts3, au point d’influencer les modes de commercialisation utilisés par les agriculteurs installés depuis longtemps4. Un signe de l’évolution vers un modèle de « paysans du IIIe millénaire »5 qui se caractérise par la diversification de la production et qui est visible dans le développement d’activités qui augmentent la valeur ajoutée des produits ou dans la diversification d’activités dans les fermes (comme la production d’énergies par exemple.)

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Selon la Coopérative d’installation en agriculture paysanne (CIAP) Pays-de-la-Loire, quatre profils de porteurs de projets peuvent être identifiés parmi les candidates et candidats à l’installation6 : « Les utopistes, les entrepreneurs, les établis et les agriculteurs. Les utopistes sont les porteurs de projet qui expriment le plus de besoins car ils sont les plus éloignés d’une installation. Les entrepreneurs ancrés dans la réalité de la gestion d’entreprise expriment plus des besoins en termes de compétences techniques. Les établis sont attachés à un territoire. Leurs besoins s’expriment plus en termes d’accès au foncier et de montée en puissance technique. Enfin les agriculteurs se caractérisent par des compétences techniques acquises et ont des besoins qui portent plutôt sur de l’accompagnement entrepreneurial. »7

Devant l’accroissement du nombre de candidatures « hors cadre familial », le soutien à l’installation tel qu’il a pu être conçu par l’Etat pour accompagner les enfants d’agriculteurs et d’agricultrices se trouve questionné. L’une des problématiques se joue autour de la notion d’« installation progressive », alors que les porteurs de projets ont souvent une faible capacité financière8. Or, les trois freins majeurs à l’installation des néo-paysans sont justement : l’accès au foncier (rendu plus complexe encore par le fait de ne pas être intégré dans le tissu local professionnel), l’accès au financement (l’aspect viable du projet étant également jugé à l’aune de l’expérience du porteur) et l’insertion professionnelle et sociale9.

Accompagner les conversions vers l’agriculture : le rôle de l’ESS

Si les pouvoirs publics développent un réseau de ressources telles que les Chambres d’agriculture et leurs Points Accueil Installation, les structures sociales et solidaires ne sont pas en reste. Elles peuvent apporter des réponses à des projets « atypiques » (installation progressive sans endettement, agriculture non conventionnelle…)10. Le besoin de compétences techniques et de formation a donné naissance à de nombreux dispositifs, dont :

  • Les « espaces-test agricoles » du Réseau national des espaces-test agricoles (Reneta), dont les Champs des Possibles et la CIAP Pays-de-la-Loire sont d’excellentes illustrations, permettent aux personnes en reconversion de s’essayer aux métiers agricoles,
  • Les « stages paysans créatifs », mis en place par les CIAP, qui, en plus d’une formation professionnelle longue, vont accompagner le néo-paysan dans le territoire spécifique qu’il aura choisi, avec l’appui de paysans référents,
  • Des stages de découverte et compagnonnage proposés par divers réseaux, par exemple les Fermes d’Avenir.

Pour le Réseau Reneta, il existe plusieurs fonctions des espaces tests agricoles : les couveuses, qui apportent un hébergement juridique, fiscal et financier ; les pépinières, qui hébergent physiquement et accompagnent le projet en mettant à disposition les moyens de production, mais sans hébergement juridique ; les structures d’« accompagnement » technique, entrepreneurial, humain ; enfin, les structures d’animation-coordination, qui ont un rôle d’animation globale et de mise en réseau d’espaces tests.

Comme tout porteur de projet, les néo-paysans peuvent en effet avoir besoin d’être soutenus sur les aspects administratifs de la création d’activité et la sécurisation de leur parcours professionnel, alors qu’ils prennent un risque à choisir une conversion professionnelle. Le modèle des coopératives d’activité et d’emploi (CAE) a ainsi été repris par des structures d’accompagnement comme la CIAP Pays-de-la-Loire et Les Champs des Possibles : les personnes qui y travaillent ont le statut d’entrepreneur salarié. En plus de la protection sociale du statut de salarié, cette solution permet d’obtenir une mutualisation de moyens juridiques et administratifs. La CAE, en tant que structure du milieu agricole, peut également se positionner sur les reprises de bail, les négociations de transmission ou les reprises de ferme, etc.

Soutenir et favoriser les coopérations dans le tissu local : convergence avec les valeurs de l’ESS

Les ressources financières dont disposent les néo-paysans sont diverses : aides Dotation jeune agriculteur (DJA) et prêts bonifiés11, aides d’associations (Initiatives France, France Active…), des conseils régionaux ou généraux, pour ne citer que les plus courantes12. Les acteurs de l’ESS ont développé des dispositifs pour traiter ces enjeux de façon intégrée, comme à la CIAP où le porteur de projet peut prétendre, en plus de la DJA, à 40 000 euros pour ses premiers investissements – ce qui peut se révéler être un véritable effet levier pour des financements bancaires par exemple. Le soutien peut également relever de solutions partenariales, à l’image du pôle Abiosol où la CAE travaille notamment avec Terre de Liens. Cette dernière, présente partout en France au niveau régional, propose des outils de financement via l’épargne solidaire et d’accès au foncier pour les agriculteurs. Terre de Liens travaille aussi en collaboration avec les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), qui, sous tutelle des ministères de l’Agriculture et des Finances, rachètent ou préemptent des terres agricoles pour aider au développement rural.

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Enfin, le besoin le plus important pourrait bien être l’intégration locale, à la fois professionnelle avec les agriculteurs et sociale avec les habitants et les pouvoirs publics, car elle conditionne les réponses positives aux autres problématiques. C’est pourquoi les structures d’accompagnement insistent sur la mise en place d’un cadre favorable à l’intégration : tutorat de paysans locaux lors de la formation et la création du projet, soutien d’élus locaux et de citoyens engagés, incitation à la rencontre et au travail commun dans l’entraide, mutualisation matérielle à travers les Coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA)… « Nombre de porteurs de projet nomment cette dynamique collective comme facteur décisif de leur persévérance alors qu’ils avaient failli abandonner.13 » Des conditions essentielles pour le développement du projet après l’installation proprement dite…

Les dispositifs d’accompagnement de l’ESS font apparaître « une posture et un réseau »14 selon Joseph Le Blanc, fondateur de la coopérative Terracoopa primée aux Grands prix de la Finance solidaire. Présentant la genèse de l’Association pour le Développement de l’Emploi Agricole et Rural (Adear) Languedoc-Rousillon, l’auteur explique que la structure est née à l’initiative d’agriculteurs désireux d’accompagner l’accueil de nouveaux pairs et s’est tournée dès le départ vers des publics fragilisés afin de créer de l’emploi localement.

Ainsi, les structures de l’ESS présentes dans l’aide à l’installation agricole portent et diffusent les valeurs de coopération et de gouvernance partagée chères à l’économie sociale et solidaire tout en proposant une piste pour la relocalisation d’une production agricole et alimentaire respectueuse de l’environnement – des pistes qui doivent se développer.

Pour aller plus loin :

 

  • 1Enquête nationale sur les hors cadre familiaux en agriculture, Réseau rural français, 2013
  • 2Sous-titre de l’étude de François Lefèvre et Mickaël Quelen qui montre qu’entre 1993 et 2003, la part des HCF dans les nouvelles installations est passé de 15% à 30% des nouvelles installations– Le devenir des agriculteurs installés hors cadre familial, 2004
  • 3 « 58% des HCF veulent commercialiser en circuits courts, 63% veulent produire en bio. […] Cette enquête révèle que le HCF n’a pas un profil très différent comparé aux installés issus du milieu agricole (la différence principale observée est le taux élevé d’agriculteurs biologiques. » Réseau rural français, op.cit.
  • 4« Installation agricole : nouveaux profils, nouvel accompagnement », Joseph Le Blanc, Pour 2011/5 (N° 212)
  • 5Les paysans du XXIe siècle, Jan Douwe van der Ploeg, Editions Charles Léopold Mayer, 2014
  • 6Pour découvrir des trajectoires de néo-paysans : Devenir paysan, édition Champs des Possibles
  • 7Développer l’entreprenariat agricole des personnes non issues du milieu agricole, CIAP Pays-de-la-Loire, 2016
  • 8« Le concept d’installation progressive […] a été reconnu officiellement par le ministère de l’Agriculture, avec la mise en place d’un outil ad hoc : le Contrat territorial d’exploitation Installation progressive, dans le cadre de la loi d’orientation agricole de 1999, construite autour de la multifonctionnalité de l’agriculture. Cette reconnaissance fut de courte durée puisqu’on revint rapidement à une approche très restrictive de l’installation agricole, autour de la Dotation jeune agriculteur (DJA). » Joseph Le Blanc, op. cit
  • 9CIAP Pays-de-la-Loire, op. cit.
  • 10Pourquoi et comment s’installer de manière progressive ? Les brochures des Cafés paysans, 2015
  • 11Dispositif lié à la DJA qui est actuellement en cours de réduction au profit d’un renforcement de celle-ci
  • 12Réseau rural français, op. cit
  • 13CIAP Pays-de-la-Loire, op. cit.
  • 14Joseph Le Blanc, op. cit.
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    Tribune

    Liliane Piot

    Liliane Piot

    Co-présidente de Terre de Liens Pays de la Loire

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