Tribune
Publié le 25 mai 2012
Pierre Calame

Pierre Calame

Président de la Fondation Charles Léopold Mayer

Le véritable défi de Rio + 20

L’incapacité de la communauté internationale à prendre des engagements à la hauteur de nos défis communs et plus encore à les tenir a quelque chose de poignant. Depuis quinze ans, les conférences de consensus ont remplacé à l’échelle de l’ONU la procédure de vote, donnant à chaque pays puissant un droit de veto. Résultat, plus rien ne progresse et tout laisse à penser que la conférence Rio + 20 sera du même tonneau. La main sur le cœur, chacun renouvellera les engagements pris par son pays il y a vingt ans et dont on voit bien qu’ils n’ont pas engagé la société mondiale sur la voie d’une véritable transition vers des sociétés durables.

On use les concepts à force de les utiliser de façon abusive. Il est vrai que le "développement durable" était dès le départ un oxymore : on met bout à bout deux concepts contradictoires en pensant que leur combinaison va résoudre magiquement la contradiction. Tout le monde fait aujourd’hui du développement durable et la pression sur les fragiles équilibres de la planète ne cesse d’augmenter, à l’image de nos consommations d’énergie fossile.

Qu’à cela ne tienne, on fabrique un nouvel oxymore, l’économie verte, et on est reparti pour un tour. Pourtant, la conférence Rio + 20 était dans l’agenda international la seule occasion de se mettre réellement au travail ensemble. A l’exception remarquable du droit européen, qui fait que l’Union Européenne, malgré sa crise actuelle, reste la réussite géopolitique la plus marquante de ces 100 dernières années, le droit reste avant tout une somme de droits nationaux. Certes, sur la base de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration universelle des droits de l’homme un droit international s’est construit, se dotant même d’un bras armé avec la Cour de justice internationale ; certes le mécanisme de règlement des différends de l’Organisation Mondiale du Commerce constitue une avancée incontestable mais l’essentiel reste à venir et ce devrait être le sujet majeur de Rio + 20 si l’on voulait que la conférence serve à quelque chose.

Quel est cet essentiel ? Il se situe en amont du droit. Aujourd’hui, la seule valeur unanimement reconnue par la communauté internationale est celle des droits de l’homme. Mais cette valeur, qui traite des individus, ne dit rien sur la manière dont nous devons gérer nos interdépendances mondiales. On le dit de façon latérale, et plutôt inefficace, en multipliant les déclarations et conventions sur les droits économiques, sociaux, environnementaux et culturels qui finissent par n’exister que sur le papier, en l’absence d’instances et d’institutions auxquelles ils soient opposables.

Ce dont nous avons besoin aujourd’hui c’est d’une éthique du bien commun, d’une éthique de la gestion des interdépendances. Or il se trouve qu’il y a une valeur que l’on retrouve dans toutes les cultures pour la bonne et simple raison qu’elle est au cœur de toute fabrique sociale : c’est la responsabilité.

L’échelle des interdépendances gouverne l’échelle des responsabilités. Interdépendance planétaire = responsabilité universelle. Et les concepts de responsabilité et de coresponsabilité s’appliquent du niveau de l’éthique individuelle au droit international en passant par la manière dont chaque type d’acteur, depuis les enfants jusqu’aux militaires en passant par les entreprises, les chercheurs et les journalistes, devient partie prenante d’un contrat social renouvelé en assumant pleinement sa part de responsabilité qui découle de son pouvoir, de son savoir et de sa liberté.

C’est pourquoi, depuis une dizaine d’années des réseaux internationaux d’acteurs, des "alliances socioprofessionnelles", se sont créées pour réfléchir chacune à la responsabilité de ses membres. Pour que le concept de responsabilité soit fondateur du droit international de l’interdépendance, pour que les chefs d’Etats cessent de considérer qu’ils n’ont de compte à rendre qu’à leurs propres électeurs, pour que les entreprises même les plus grandes cessent de considérer qu’elles n’ont de compte à rendre qu’à leurs actionnaires ou à des juridictions nationales, il faut concevoir, débattre et adopter à l’échelle de l’ONU une Charte des responsabilités universelles.

C’est cela le véritable défi de Rio + 20. C’est pourquoi un groupe d’alliances citoyennes réunies dans le Forum éthique et responsabilité s’est mobilisé pour préparer, en vue de Rio + 20, une Charte des responsabilités universelles, établir une feuille de route pour aller du débat sur les principes, qui devrait se tenir à Rio, jusqu’à l’adoption par l’Assemblée des Nations-Unies et a lancé un appel aux gouvernements pour, précisément, qu’ils… prennent leurs responsabilités. Nous vous invitons à vous joindre à cet appel.

Revenir à la page "Le Mag"

    Vous souhaitez soutenir le Labo de l'ESS ?

    Accompagnez la construction de l’économie sociale et solidaire de demain en adhérant à notre think tank et à nos valeurs !

    Adhérez