Initiative inspirante
Publié le 25 mai 2020

Habicoop : des coopératives d’habitants hors du marché de la spéculation

Habicoop
Mots clés
ESS
circuits courts
habitat
coopération
coopérative

Habicoop est la Fédération française des coopératives d’habitants. Implantée à Lyon mais rayonnant au niveau national, son rôle est de promouvoir ce mode d’habitation spécifique, solidaire et hors du marché spéculatif qui relève d’un mouvement plus large : celui de l’habitat participatif . Interviewée en pleine période de confinement lié au Covid-19, Christiane Chateauvieux, co-présidente de la Fédération, nous raconte comment l’habitat coopératif se révèle d’autant plus bénéfique en temps de crise.

Habicoop : de l’accompagnement de projets d’habitat coopératif au plaidoyer politique

La Fédération française Habicoop s’est créée en avril 2015 en s’appuyant sur l’expérience de l’association Habicoop AURA (Auvergne-Rhônes-Alpes) qui avait vocation à accompagner les projets de création d’habitat coopératif. Cette évolution est née de l’envie collective des membres d’aller au-delà de l’accompagnement de projets et de promouvoir ce modèle au niveau national par des actions de plaidoyer envers les décideurs politiques « quand on a vu que l’on était entendu dans des lieux de décisions on s’est dit qu’il serait important de se constituer en fédération pour avoir plus de visibilité » explique Christiane Chateauvieux.

Mais alors que sont les coopératives d’habitants ? Elles regroupent des personnes qui veulent gérer et améliorer, ensemble, les logements qu’elles occupent dans un même immeuble. Les valeurs fondamentales sont la propriété collective, la sortie du système spéculatif et la démocratie .

Ainsi, les « coopérateurs » n’achètent pas littéralement un appartement mais un nombre de parts sociales de la coopérative et le bâtiment est géré avec une gouvernance horizontale où chaque coopérateur égale une voix, quel que soit le nombre de parts sociales achetées.

Abricoop

Le montant de la part sociale est généralement peu élevé (entre 20 et 50€) afin que chacun puisse devenir coopérateur. Ce système permet de loger des étudiants qui ne sont là que pour une année de fac ou bien des familles en hébergement d’urgence qui ne pourront pas acheter plus d’une part sociale pour être coopérateurs. Plusieurs coopératives déjà habitées se sont adossées à des bailleurs sociaux, ainsi que des projets en cours qui attribueront leurs logements à des personnes en demande. Favoriser la mixité sociale fait partie des enjeux forts portés par les coopératives d’habitants.

On compte aujourd’hui en France 30 coopératives sur le modèle promu par Habicoop (voir encadré au bas de l’article) dont une douzaine déjà habitée. Les projets en cours sont, pour la plupart, bien avancés. De Villeurbanne à Lorient, en passant par Toulouse, Montpellier ou Bègles, les coopératives d’habitants séduisent sur tout le territoire. On trouve aussi bien des bâtisses ou des granges restaurées et aménagées en différents espaces dans la campagne drômoise ou ardéchoise que des immeubles construits sur des terrains réservés par des grandes villes dans des Zones d’Habitat Concerté (ZAC).

Le plaidoyer représente aujourd’hui une activité importante d’Habicoop, - la Fédération est entièrement gérée par des bénévoles – qui continue aussi de répondre aux questions des personnes engagées dans un projet et organise, via sa « commission juridique » des réunions qui tournent rapidement à l’échange d’expérience et permettent aux personnes de s’enrichir et de monter en compétences sur les questions juridiques et financières. La Fédération a aussi mis en place une formation à l’accompagnement et organise, depuis l’année dernière, une session de formation pour des personnes qui souhaitent par la suite accompagner des projets de création de coopératives d’habitants.

Si les décideurs politiques renvoient souvent à la Fédération « qu’elle est toute petite  », Habicoop ne demande pas mieux que « de représenter cent fois plus de coopératives demain » déclare la co-présidente qui ajoute « ça se fait ailleurs en Europe donc c’est possible ! Ce n’est pas compliqué d’aller plus loin mais en France on reste sur des schémas classiques alors qu’il faudrait être plus souple sur les législations et que l’on puisse avoir accès aux mêmes aides et dispositifs que les bailleurs sociaux par exemple, ou à tout ce qui relève d’un accès au foncier facilité... Le temps pour faire aboutir un projet est beaucoup trop long aujourd’hui, à cause de tous ces freins que l’on demande à lever depuis de nombreuses années. »

C’est pourquoi Habicoop se bat pour disposer d’un meilleur accès au foncier qui reste compliqué, notamment dans les grandes villes où le foncier est rare et la concurrence rude avec les promoteurs immobiliers. Autre cheval de bataille : abattre les verrous juridiques et financiers. Par exemple, les banques exigent à une personne morale (comme la société coopérative) de disposer de 15 à 20% du coût de revient de l’opération pour pouvoir disposer d’un prêt quand elle n’en demande que 10% pour un prêt individuel. Cela pénalise l’accès au logement pour tous même si Habicoop contourne cette difficulté en ayant recours à un système solidaire mais complexe où chacun des coopérateurs peut investir à hauteur de ce dont il dispose (voir encadré au bas de l’article).

Le rêve de la Fédération ? Qu’il y ait plusieurs centaines de coopératives comme c’est le cas en Suisse (plus de 20% à Zurich) ou en Allemagne où les loyers sont réduits une fois que le prêt a été remboursé. Ils permettent d’entretenir le bâtiment et s’il y a du surplus, il est réinjecté pour aider de nouvelles coopératives à se monter. « La coopérative devient elle-même une banque, on paye son logement au vrai coût de revient et pour nous, c’est ça le bien commun ! » déclare Christiane Chateauvieux avec enthousiasme. Sans volonté politique, les projets de coopératives d’habitants resteront difficiles à monter alors même qu’elles sont une réponse de logement pour les classes moyennes notamment.

Habicoop

Lien social, partage et solidarité exacerbés en tant de crise !

Depuis le début du confinement, les groupes-projets sont davantage sollicités par des personnes intéressées par ce type d’habitat. Si en temps normal, vivre dans une coopérative d’habitants est une aventure sociale avec des espaces partagés pour accueillir familles et amis, un jardin commun, des apéros souvent organisés, la crise sanitaire est venue accentuer les aspects de partage et de solidarité : «  tout était là mais tout a pris de l’ampleur » résume la co-présidente.

Ainsi, des espaces communs ont pu être aménagés en salle de télétravail accueillant trois ou quatre personnes en respectant des distances physiques, les personnes retraitées se sont mises à aider les enfants dans leur scolarité, soulageant ainsi les parents. Cela a permis de mettre en place une vraie «  continuité éducative dans ces lieux-là ». Il y a également eu de la solidarité avec l’extérieur puisque certaines coopératives d’habitants ont choisi communément de faire profiter des chambres d’amis à des personnes qui n’avaient pas de solution pour le confinement.

Et puis il y a eu beaucoup de créativité avec l’organisation de cours de jardinage ou de yoga en petit groupe, des musiciens dans les murs qui « poussent la chansonnette à 20h et même une crieuse qui déclame les anecdotes ou les blagues que chacun a mis dans sa boîte aux lettres… et cela profite aussi aux voisins des immeubles d’à côté  » raconte Christiane Chateauvieux.

Espérons alors que cette crise, partie pour durer, puisse faire réaliser aux décideurs politiques comme aux citoyens, qu’il existe une autre façon d’habiter, mêlant mixité, lien social, entraide et solidarité…pour tou.te.s !

Rédaction : Sophie Bordères


Crédits photos : Habicoop, Christine Chaudagne

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L’habitat coopératif selon Habicoop : comment ça fonctionne ?

L’habitat participatif est généralement une initiative portée par un groupe de citoyens qui souhaite réfléchir à un projet collectif d’habitat. Ils définissent leurs valeurs dans ce mode d’habiter autrement, ils construisent ou investissent un immeuble conçu avec des parties communes, ont souvent un lien fort avec le quartier, la ville ou le village où ils sont installés et peuvent par ailleurs être investis dans la société en militant dans des associations, syndicats ou partis politiques. Dans ce cas de figure, le plus souvent, les habitants font un prêt individuel et chacun est propriétaire de son logement. Inscrit au sein de ce mouvement, l’habitat coopératif présente quelques spécificités : les coopératives d’habitants relèvent de ce que l’on connait dans l’ESS à savoir qu’elles sont déconnectées du marché de l’immobilier avec l’idée de non-spéculation qui est au centre du projet. Ainsi on n’est pas propriétaire de son logement mais des parts sociales que l’on a achetées. A cela s’ajoute une gouvernance horizontale où chaque personne égale une voix quel que soit le nombre de parts sociales qu’il a mises dans le projet.

A l’origine d’un projet d’habitat coopératif, les membres du groupe doivent trouver un terrain à construire ou un bâti à réhabiliter. Il faut ensuite acheter le terrain ou le bâtiment en demandant à la banque un prêt au nom d’une personne morale (la société coopérative). Or, s’il est possible à titre individuel de se voir accorder un prêt avec un apport de 10% du coût du logement, c’est plus compliqué en tant que personne morale car les banquiers sont frileux vis-à-vis de ces montages financiers pas suffisamment fréquents en France pour les rassurer. Il exigent donc un total de 15-20% du coût total du bien, ce qui nécessite d’avoir un bon niveau de revenus pour prétendre participer à l’aventure du logement coopératif.
Pour pallier cette difficulté et permettre à tou.te.s d’acheter le bâtiment et/ou le terrain souhaité, les coopérateurs se retrouvent à faire des péréquations, c’est-à-dire que chacun d’eux participe en fonction du capital financier dont il dispose. Ainsi, certains contribueront à hauteur de 2 000€ quand d’autres pourront verser 100 000€. Le tout est d’arriver à un total de 15-20% de la somme. Ainsi, s’il reste nécessaire d’avoir des habitants qui disposent d’un fort capital de départ, cela permet de favoriser la mixité au sein des coopératives de logement, chaque coopérateur achetant un nombre de parts sociales selon le capital dont il dispose.

En plus des parts sociales achetées, chaque foyer paye une redevance mensuelle (loyer + provisions...) établie en fonction de ses revenus à un temps T selon une grille disposant de plusieurs niveaux de prix du mètre carré. Chaque année, la redevance de chacun est examinée par l’ensemble des coopérateurs et peut être redéfinie si la situation a changé (un nouvel enfant, la perte d’un travail…). Lorsqu’un ménage souhaite déménager, les autres coopérateurs doivent alors retrouver un nouveau ménage disposant d’un apport équivalent à celui qui part et se mettre d’accord sur le choix du ménage, toutes les décisions étant prises de manière collective (une personne = une voix).

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