Tribune
Publié le 5 juillet 2022
Hugues Sibille

Hugues Sibille

Président du Labo de l'ESS

Boussole estivale

C’est l’été : auparavant le retour de la chaleur réjouissait, mais aujourd’hui la maison brûle.

C’est une trêve Covid : auparavant, nous ignorions le mot distanciation, mais aujourd’hui le va et vient de l’épidémie use le système de santé ainsi que nos psychismes.

C’est la guerre à deux pas : auparavant, l’Europe était territoire de paix, mais aujourd’hui l’Ukraine pleure, l’arme nucléaire effraie.

C’est l’après-élection : auparavant l’électeur votait, savait pour qui et pourquoi, aujourd’hui il s’abstient, vote populiste. La démocratie prend l’eau.

Où allons-nous ? Quelle est notre boussole ?

Ce poignant inventaire et ces questions existentielles, visent à partager, en ce début d’été, l’idée qu’une lucidité créatrice et un esprit de co-construction sont nos premiers devoirs. Les logiciels simplifiés des nostalgiques de la mondialisation heureuse comme ceux d’un patriotisme rétrograde, ceux d’une croissance infinie comme ceux d’une régression malthusienne ou d’un étatisme dominateur, sont inopérants et ne vont guère à la racine. Pour l’ESS la perspective ne peut être autre que d’inventer et de construire ensemble un monde plus durable, plus juste, plus inclusif, plus démocratique. C’est urgent, mais ce sera long. C’est vital, mais ce sera difficile. La lucidité créatrice impliquera courage et responsabilité.

Le Labo, think tank dédié à l’ESS, n’a pas de recettes miracles à proposer pour aborder l’inconnu de ce nouveau monde. Mais moins que de recettes ou de programmes-catalogues, il cherche et propose des convictions partagées, formant boussole. Voici quatre points de repère, forgés par nos travaux sur le terrain, pour alimenter les débats de l’été.  Et peut-être inspirer nos dirigeants…

  • Rénover la démocratie, c’est aussi compléter une démocratie politique essoufflée par de nouvelles formes de citoyenneté économique. Le citoyen s’éloigne des urnes, mais il s’engage sur le terrain des initiatives locales : transition énergétique citoyenne, mobilités partagées, économie circulaire, alimentation durable, circuits courts, coopératives d’activité, monnaies locales etc. L’ESS n’a pas le monopole de ces citoyennetés économiques, mais en est souvent pionnière. Elle pourrait se révéler un terrain favorable pour apprendre l’art de nécessaires compromis à trouver entre législatif et exécutif. Évaluer la loi ESS de 2014 au critère de cette citoyenneté économique (le monde a incroyablement changé depuis 2014), ouvrir une large concertation sur cette évaluation, actualiser un cadre législatif pertinent, animer depuis Bercy une politique nationale d’ESS, disposer d’un intergroupe parlementaire sur la citoyenneté économique, s’impliquer dans le plan d’action européen en faveur de l’ESS, constituent des enjeux immédiats et partageables.

 

  • Cheminer vers un monde à inventer, forme ce que le langage courant nomme de plus en plus « transition ». Ce mot devient peu à peu une valise, dans laquelle chacun apporte son manger (ou sa lessive green washing !), se focalisant souvent sur la seule transition énergétique, (sous la pression du gaz et du pétrole). Notre boussole à nous oriente plutôt vers le concept de « transition juste », soulignant qu’une transition réellement transformatrice ne réussira que si elle est systémique et faite avec et pour les citoyens qu’ils soient en situation de chômage, de précarité, de pauvreté, de stress social… ou non. Le Labo a engagé une ambitieuse et passionnante étude-action avec la Fondation de France sur les relations entre transition juste et précarités sociales. Pour la même raison, nous soutenons résolument le Pacte du pouvoir de vivre ou la Fabrique des transitions. La différence entre pouvoir d’achat et pouvoir de vivre, (le second englobant le premier sans s’y réduire) illustre la mutation à réussir.

 

  • L’ampleur des problèmes à surmonter est telle que nul ne peut prétendre trouver seul le chemin. La coopération territoriale devient un processus indispensable mais ne se décrète pas. Il faut y investir massivement des ressources humaines, de la formation, de l’ingénierie. Le Labo reste mobilisé sur la réussite des PTCE en exigeant la continuité des politiques publiques en leur faveur ; il suit de près les territoires zéro chômeur de longue durée. Il invite le gouvernement à une politique contractuelle Etat / collectivités locales plus confiante, à une planification participative et décentralisée de la transition juste, incluant l’ESS, car le couple collectivités locales / ESS est porteur d’avenir. En septembre, il lancera avec le fonds de dotation Que Vol’terre un chantier sur le financement et l’accompagnement des innovations territoriales et suivra les dynamiques européennes de clusters d’innovation sociale et écologique.

 

  • Quatrième repère à construire pour l’ESS : quel est son rapport à la croissance, à la décroissance, à la sobriété, au rationnement ? Le nouveau monde implique une révolution des consommations, des usages, (aérien, automobile, logistique, numérique, tourisme, packaging…) et par-là des modes de production. Le Labo a d’ores et déjà travaillé sur la sobriété énergétique ou la précarité alimentaire. Il vient d’achever une importante étude sur la low-tech dans 6 métropoles. Il consacrera son prochain conseil d’orientation à la sobriété et entend proposer à la rentrée une nouvelle ambition pour une éducation populaire créatrice de nouvelles capabilités vers une économie plus sobre.

 

Nous fêtons la centième année de notre fondateur, Claude Alphandery. Il nous enseigne inlassablement à vivre et résister. Résister au contexte poignant de ce début d’édito, inventer un monde enfin respectueux du vivant : parlons en cet été, ressourçons-nous et soyons à l’œuvre à la rentrée.

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