Tribune
Publié le 26 septembre 2012
Séverin Husson

Séverin Husson

Journaliste à La Croix

Entre médias et ESS, le courant est encore en mode alternatif

"Vous ne parlez pas assez de nous". Ce reproche, nous, les journalistes, ne le connaissons que trop bien. Il est employé par nos interlocuteurs, mécontents de ne voir repris qu’une partie de leur propos ou de leurs initiatives.

Les acteurs de l’Économie sociale et solidaire (ESS) y ont recours, eux aussi. Mais il faut le reconnaître : dans leur cas, la remarque est assez souvent justifiée – en tout cas, elle l’a longtemps été.

Pendant des années, la majorité des grands médias est en effet passée à côté de l’ESS. Elle n’a pas perçu la richesse du secteur, les parcours d’hommes et de femmes et les initiatives originales qu’elle peut y puiser. Peu de rédactions affectent un journaliste au suivi de l’actualité du secteur. La Croix figure parmi les médias les plus assidus et pourtant, en plus de l’ESS, je suis en charge d’autres secteurs où l’actualité n’est pas mince : agriculture, pêche, immobilier. Résultat, les conférences de presse et autres événements médiatiques se bousculent chaque matin. En général, c’est l’actualité – et la place dans le journal – qui dicte ses choix.

Une scène illustre cette situation. Le 6 juin, Benoît Hamon, fraîchement nommé ministre délégué à l’économie sociale et solidaire, organisait sa conférence de presse de rentrée dans la prestigieuse salle du 7e étage de l’hôtel des ministres, à Bercy. En arrivant, je me souviens que l’un de ses conseillers m’avait confié sa surprise devant le nombre de journalistes présents. La longue table nappée de blanc ne suffisait pas à accueillir tout le monde : nous étions une vingtaine, peut-être trente, curieux d’entendre les premiers mots venus de ce nouveau ministère.

Tous les grands médias étaient représentés mais nous venions tous d’univers différents. Il y avait les habitués de Bercy, pointus en finances publiques ; les fidèles de la rue de Solférino, incollables sur les luttes internes au PS ; les spécialistes du "social", rompus aux questions syndicales… À l’évidence, bien peu connaissaient vraiment l’ESS. Et assez vite, les questions ont rejoint les petits et grands débats du moment sur la hausse du smic ou les déplacements en train du Président de la République.

Est-ce la création d’un ministère dédié au secteur ? En tout cas, il y a, à mon avis, de nets progrès depuis quelques temps. Des dizaines de journalistes se sont intéressés au LH Forum et à Convergences 2015. Radio Classique a lancé une émission quotidienne sur l’ESS et Libération, un supplément économique (EcoFutur) pour parler de "croissance plus solidaire" et d’"économie du progrès".

Les journalistes sont-ils pour autant les seuls à blâmer ? Je ne le crois pas. L’ESS ne réussit pas toujours à s’adresser aux médias. Les formules passe-partout ("donner du sens", "favoriser l’économie positive", "développer l’impact social") ou techniques ("hybridation", "mutualisation", "formation-action") encombrent encore trop les discours. En plus, le secteur souffre d’un trop grand éclatement pour le rendre intelligible d’un regard. Il manque encore de cohérence, de colonne vertébrale. Peser 10 % du PIB est efficace, mais encore faut-il qu’il y ait des problématiques et des démarches convergentes de ceux qui s’en réclament.

Au fond, de nombreux professionnels de l’ESS comprennent encore mal nos contraintes et notre façon de travailler. Car il ne faut jamais l’oublier, il existe une différence de taille entre nous : vous êtes des militants, convaincus, innovants et pointus ; nous sommes des passeurs d’idées, animés par une volonté d’informer sans parti pris. Entre militantisme et information, nos objectifs divergent.

Je reste néanmoins convaincu que les points de rencontres possibles sont innombrables. Nous avons les moyens de faire connaître vos idées et vos projets. Vous pouvez nous aider à percevoir les solutions émergentes à la crise, à engager dans les rédactions une réflexion sur ces propositions… et donc à ne pas désespérer nos lecteurs.

Au fond - et c’est une réflexion que mène la Croix depuis longtemps – la meilleure façon de parler de l’ESS est encore d’aller à la rencontre des acteurs de terrain, de raconter leurs envies et leurs histoires. C’est là que s’exprime le mieux la richesse de ces milliers d’initiatives locales et méconnues. C’est ensuite, avec la force de ces récits, que nous et nos lecteurs pourrons nous emparer des réflexions de fond qui animent le secteur.

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