Tribune
Publié le 4 mars 2014
Hugues Sibille

Hugues Sibille

Vice-Président du Labo de l'ESS, Président d'Avise

Innovation sociale, où en sommes-nous ?

L’innovation sociale est (enfin !) sur la table publique. Elle constitue un article (10) du projet de Loi sur l’ESS. Elle sera la cible d’un Fonds de 20 Millions (FNISO) que la Banque publique d’investissement a reçu mission de créer. Les Régions l’inscrivent dans leurs Schémas d’innovation. La Commission Européenne en fait un axe de la prochaine programmation des Fonds Structurels et la Déclaration de Strasbourg sur l’entrepreneuriat social du 17 Janvier 2014 y fait largement allusion. C’est une bonne nouvelle. Pourquoi cet engouement ? Cache-t-il quelque chose ?

Ce fort et nouvel intérêt s’explique par une recherche de sortie de crise, pour certains ou un désir de transition socio-économique vers un nouveau modèle, pour d’autres. Trois raisons majeures à cela. 

Premièrement, dans les sociétés développées, de nombreux besoins sociaux de base (se loger, se nourrir, se déplacer, se soigner...) restent non satisfaits ou satisfaits dans des conditions ne correspondant pas aux enjeux actuels (bilan énergétique, alimentation saine...). Des besoins nouveaux apparaissent, comme accéder à des moyens de communication interactive (téléphone mobile, internet) indispensables à la vie en société. Il y a donc lieu d’innover pour répondre mieux à des besoins insatisfaits.

Deuxièmement, les comportements changent vers plus de participation : les usagers ne veulent pas être de simples consommateurs et les bénéficiaires des assistés. Ils entendent participer, être acteurs, ne pas subir. C’est l’émergence d’une économie collaborative (covoiturage, monnaies alternatives, circuits courts, habitat participatif...) Ceci génère des innovations dans la manière de produire et rendre les services, d’organisation, de distribution, de gouvernance... qui font partie de l’innovation sociale et lient innovation sociale et innovation technologique. Le crowdfunding n’est possible que grâce au web.

Troisièmement, les pouvoirs publics n’ont plus les moyens financiers, mais aussi humains et d’organisation de proximité, pour assurer eux-mêmes des politiques sociales comme ce fut le cas pendant le Wellfare state. De nouveaux partenariats émergent entre le public, la société civile et le privé pour traiter de questions "sociales".

Pour ces trois raisons l’innovation sociale devient essentielle et intéresse de nombreux acteurs. L’OCDE la définit comme : "un changement de concept, de procédé, ou de produit, un changement organisationnel ou dans les moyens de financement, qui implique de nouvelles relations avec les parties prenantes et les territoires".

Deux conséquences de ces tendances de fonds sont à souligner : d’abord, l’innovation sociale sera durable car ces trois tendances sont elles-mêmes durables. Ce n’est pas une mode. Ensuite, la diversité des attentes peut faire de l’innovation sociale une auberge espagnole, chacun mettant l’accent sur la tendance qui l’intéresse.

À une extrémité pour certains, elle est une voie de désengagement de l’état et des collectivités, exsangues financièrement. Ils attendent de l’innovation sociale une forme de rationalisation budgétaire permettant de traiter les questions sociales à un coût moins élevé pour la collectivité.

A l’autre extrémité, elle est pour d’autres une voie de transformation sociale vers une société plus équitable, plus durable, une façon de démocratiser l’économie en la rapprochant du citoyen. Une voie intermédiaire, à laquelle je me rattache, considère qu’on peut ET améliorer les finances publiques ET contribuer à la transformation sociale, par l’innovation sociale.

L’innovation sociale est donc et restera, un sujet de débat politique. L’enjeu est d’éviter que ce débat ne soit caricatural ou que l’Innovation sociale ne soit instrumentalisée par tel ou tel courant. Elle n’appartient à personne.

Pour transformer l’essai en cours dans l’espace public, les acteurs de l’ESS, peuvent mettre en œuvre trois principes : vigilance, ouverture, performance.

Vigilance : car les coups "partis" ne sont pas "arrivés". La loi ESS n’est ni entièrement stabilisée ni votée. Rappelons que le Conseil d’Etat avait supprimé l’article sur l’innovation sociale. Il faut veiller à ce que l’article 10 ressorte convenablement des débats parlementaires et des discussions entre législatif et exécutif. Pas d’usine à gaz bureaucratique ou de texte inapplicable : il s’agit d’une reconnaissance de principe permettant que l’innovation sociale soit financée au même titre que l’innovation technologique. Vigilance encore pour que la BPI crée effectivement le FNISO dans un délai rapide, en partenariat avec les Régions, et dans une bonne accessibilité pour les innovateurs de l’ESS. Bpifrance n’a pas à ce jour cette culture. Vigilance toujours sur la programmation et la gestion des Fonds Européens pour éviter certaines dérives.

Ouverture : car l’innovation sociale n’est pas l’apanage ou le monopole de l’ESS, même si elle en est clairement le meilleur laboratoire. L’innovation sociale résulte souvent de décloisonnements, de rapprochements, d’alliances. D’où l’enjeu d’ouvrir la fenêtre, de travailler avec d’autres sans renoncer à être soi-même. Les associations doivent apprendre les partenariats de financement, de compétence, de gouvernance... avec le privé. Ouverture sur les territoires vers d’autres acteurs, comme le montrent les Pôles Territoriaux de Coopération Economique (PTCE), les Coopératives d’intérêt collectif (SCIC) et peut-être demain les Fondations Territoriales.

Performance : car il faut admettre qu’"investir" dans l’innovation sociale doit générer des résultats pour la collectivité. Ainsi la Région Languedoc-Roussillon qui, avec REALIS a lourdement investi en faveur de l’IS, se préoccupe du retour, social mais aussi économique, sur investissement. Il reste à faire beaucoup sur ce plan de deux façons :

  • Ne pas craindre la culture de la performance, une performance adaptée aux finalités, valeurs et projets de l’ESS
  • Disposer d’outils de mesure d’impact social commun aux différentes parties prenantes : innovateurs, usagers, financeurs. De ce point de vue il y a urgence à ce que la France occupe le terrain international de la mesure d’impact social qu’elle laisse actuellement aux anglo-saxons.
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