Tribune
Publié le 9 juillet 2014
Pierre Calame

Pierre Calame

Président de la Fondation Charles Léopold Mayer

L’économie sociale et solidaire : un moyen privilégié de construire le capital immatériel des territoires

Le développement de pôles territoriaux de coopération économique a été l’une des propositions phares issues des Etats Généraux de l’économie sociale et solidaire. Cette proposition est aujourd’hui reprise dans la nouvelle loi. Ce véritable court circuit entre le moment où l’idée a été émise et le moment où une loi l’a consacrée est suffisamment rare pour être salué. Il est hautement significatif de l’évolution des esprits et il projette l’économie sociale et solidaire dans ce qui sera une des priorités du 21e siècle : consolider le rôle des territoires comme acteur majeur de la transition vers des sociétés durables.

Les Etats d’un côté et les grandes entreprises de l’autre ont été les acteurs pivot de l’économie au 19e et au 20e siècle. Chacun dans son domaine, l’Etat pour les régulations « horizontales » et la grande entreprise pour les régulations « verticales », ils disposaient d’atouts incontestables pour organiser autour d’eux l’économie et même la société. Or ce n’est plus le cas au 21e siècle. Ni l’un ni l’autre n’est véritablement en mesure d’assurer la cohérence entre l’économie, la société et l’environnement. Progressivement ils passent du statut de solution au statut de problème. Quels seront les acteurs pivot qui s’y substitueront ? Dans mon livre « Essai sur l’oeconomie, » je crois avoir pu montrer que les deux acteurs pivot, l’un horizontal, l’autre vertical, de l’oeconomie – l’art de produire le bien être pour tous dans le respect des limites de la planète – seront le territoire et les filières de production.

Étonnante revanche des territoires, que l’on observe déjà partout dans le monde. Ces niveaux d’organisation de la société qui semblaient associés à la période précédant la révolution industrielle se retrouvent projetés à l’avant-scène, investis d’un rôle majeur dans la conduite de la transition. Ils n’y sont pas tous préparés, tant s’en faut. Pour assumer cette nouvelle responsabilité, les territoires devront s’appuyer sur leurs différents atouts, sur les capitaux dont ils disposent. Or il en est un, essentiel, qui est souvent peu perçu, et de ce fait insuffisamment développé, c’est le capital immatériel.

Qu’est-ce que le capital immatériel ? En deux mots, le résultat d’un long apprentissage dans la manière qu’ont les différents acteurs d’un territoire de coopérer pour faire face à de nouveaux défis. C’est ce capital immatériel qui est par exemple au cœur des fameux « districts industriels » d’Italie du Nord : c’est l’habitude de la coopération entre des petites et moyennes entreprises et avec des centres de formation ou des collectivités publiques qui ont permis à ces entreprises, dont chacune prise isolément aurait été confinée à un marché local, d’aller à l’exportation. Ce que l’on a appelé en France les systèmes productifs locaux procèdent de la même idée. Et, pour reprendre un thème à la mode, quand on s’interroge sur les fondements de la plus ou moins grande résilience des territoires, de leur capacité à transformer une crise en opportunité, on trouve ce capital immatériel, cette habitude de la coopération qui, une fois prise, peut être mobilisée pour faire face à des défis inattendus.

Or, bien au-delà de leurs caractéristiques statutaires, les entreprises de l’économie sociale et solidaire, depuis les mutuelles d’assurance jusqu’aux crèches parentales, ne sont rien d’autre que des apprentissages de la coopération appliqués à différents domaines.

On prend alors conscience de ce que sont réellement ces pôles territoriaux de coopération économique. Mêmes s’ils sont partis de l’idée sympathique de faire coopérer entre elles des entreprises de l’économie sociale et solidaire, introduisant, si l’on peut dire, une nouvelle couche de coopération, ils dépassent rapidement ce propos initial en associant des entreprises ou des initiatives dont certaines relèvent de l’économie sociale et solidaire et d’autres non. En cela, ces pôles territoriaux sont novateurs et profondément porteurs d’avenir.

Le prix Nobel d’économie attribué à Elinor Ostrom a popularisé depuis quelques années l’idée de « gestion des communs ». Or, toute gestion des communs part du constat que dans bien des domaines, la coopération est plus efficace que la compétition et le marché, à condition que la communauté bénéficiaire de ces communs se dote de règles précises de coopération aussi bien pour assumer les responsabilités que pour bénéficier de l’usage des communs. D’une certaine manière, cette idée généralise celle d’économie sociale et solidaire, les règles statutaires de cette dernière n’étant qu’un cas particulier de règles adoptées pour la gestion du bien commun.

L’objectif même des Etats Généraux de l’économie sociale et solidaire était d’amener ses différentes branches, par trop crispées sur la défense de leurs modèles statutaires, à se projeter ensemble dans l’avenir. Avec les pôles territoriaux de coopération économique, et si l’on accepte de les considérer comme un mode privilégié de construction du capital immatériel des territoires, l’esprit coopératif qui anime depuis l’origine l’ESS apparaît ainsi comme un des moyens de permettre aux territoires d’assumer leurs responsabilités dans la transition vers des sociétés durables.

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