Tribune
Publié le 9 février 2018
Hugues Sibille

Hugues Sibille

Président du Labo de l'ESS

L’Entreprise, l’ESS et l’intérêt général

La mission confiée à Nicole Notat et le projet de loi PACTE mettent le thème de l’entreprise sous les feux de l’actualité. Le Ministère de l’Economie a déjà reçu 12 000 contributions en ligne ! Eu égard aux initiatives gouvernementales et à ce désir de contribuer, l’ESS paraît à la peine pour exprimer des positions communes. Ce qui est révélateur et inquiétant.

Révélateur d’une difficulté à dégager une position stratégique cohérente sur l’entreprise. Tiraillée entre une partie des associations rétives à se penser comme entreprises associatives et une partie des coopératives, mutuelles, entreprises sociales promptes à adopter les pratiques banalisantes des sociétés de capitaux, l’ESS préfère-t-elle éviter le sujet ? Ceci s’est traduit autrefois par un retard à l’allumage sur la RSE et aujourd’hui par une absence sur "l’entreprise libérée". Si l’entreprise (qui n’existe pas en droit) reste relativement "impensée", c’est vrai dans l’ESS. J’invite les chercheurs à intensifier des travaux sur l’entreprise de demain du point de vue de l’ESS.

Un peu inquiétante aussi, car une partie des projets gouvernementaux (modifications du Code Civil, Société à objet social étendu [SOSE], Fondations actionnaires) s’apparentent à l’univers ESS. Ils pourraient "brouiller" le périmètre (co)-construit par la Loi de 2014. Nous pouvons dire aujourd’hui légalement ce qu’est l’ESS (un mode d’entreprendre), et être identifiés comme tel. Qu’en sera-t-il demain ? Ne serait-il pas opportun que le Conseil Supérieur de l’ESS soit saisi pour avis des projets de textes en cours ? L’ESS serait-elle considérée comme ne faisant pas partie du monde des entreprises ? Nous ne conquerrons pas le monde entrepreneurial en en étant absent !

Face à cette situation puis-je, modestement, proposer une triple "entrepreneuriale attitude" ?

Première attitude : la décomplexion. L’ESS affirme sans barguigner la modernité de sa vision entrepreneuriale. Nous sommes des sociétés de personnes et non des sociétés de capitaux, les personnes ont le pouvoir dans nos entreprises, nous mettons nos résultats en réserve et nos réserves sont impartageables ! Quoi de plus moderne ? La Loi de 2014 à fixé quatre critères pour être agréé : mission d’utilité sociale, lucrativite limitée, échelle des salaires encadrée, gouvernance participative : défendons-les tout simplement.

Seconde attitude : l’ouverture vigilante. On doit être favorable au fait que les valeurs de l’ESS percolent dans le monde entrepreneurial, que le gouvernement sécurise les entreprises qui désirent afficher un objectif d’utilité sociale autre que le profit (SOSE) ou protéger leur capital dans la durée (Fondations actionnaires). Mais nous devons veiller à ce que des entreprises ESS qui font de l’intérêt général leur cœur de métier ne soient pas diluées dans un grand fourre-tout. Il faudra donc éviter de faire déshabiller Pierre (ESUS) pour habiller Paul (SOSE). En particulier l’épargne salariale solidaire doit continuer à financer les entreprises les plus proches de l’intérêt général. Et assurons-nous de la lisibilité finale du dispositif.

Troisième attitude : la longueur d’avance. Rien ne sert de tenir des positions défensives corporatistes. C’est par une capacité à innover et à rendre compte de ses pratiques alternatives que l’ESS obtient adhésion et soutien. Je vois trois chantiers sur lesquels travailler vite. Le premier concerne la démocratie d’entreprise. Le principe "une personne, une voix" ne suffira pas à convaincre d’une démocratie d’entreprise si les AG sont désertées ou purement formelles. Accélérerons les avancées d’une démocratie de délibération approfondissant la simple démocratie de représentation. Le second chantier concerne l’élargissement de la gouvernance aux autres parties prenantes que les actionnaires (défendus par le patronat) et les salariés (défendus par les syndicats). L’ESS a reproduit le modèle d’une gouvernance mono-catégorielle : coopératives de salariés d’un côté et coopératives de consommateurs de l’autre. L’avenir est au multi-sociétariat. La SCIC (société coopérative d’intérêt général) en est un premier et bel exemple. Le troisième chantier concerne le rapport au territoire. L’entreprise ESS peut être à la pointe pour mesurer et rendre compte de son empreinte territoriale. Inventons les entreprises territoriales ! La mondialisation fait émerger une économie de proximité. L’ESS peut en être la partie la plus innovante, le fleuron.

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