Tribune
Publié le 8 octobre 2013
André Jaunay

André Jaunay

Vice-président de Financement Participatif France

La finance participative : une révolution, y compris pour l’économie sociale et solidaire ?

Dans 3-4 ans les modes de financements des entreprises, des associations, du développement territorial, des projets de façon générale seront sans doute très différents de ce qu’ils sont aujourd’hui. Cette transformation concernera également les épargnants, leurs comportements, leurs niveaux de responsabilité dans la société et leur culture financière.

La finance participative est un mode de financement dans lequel l’épargnant choisit lui-même la destination finale, le projet ou l’entreprise qui va recevoir son argent, que ce soit sous la forme de don (souvent avec contrepartie), de prêt ou de capital. Les nombreuses plateformes internet spécialisées qui organisent ces mises en relations permettent que chacun des projets puisse être financé par la foule (c’est le sens du terme anglo-saxon « crowdfunding »).

Les montants déjà levés, leur rythme de croissance et les enjeux économiques et sociaux de ce mode de financement font que le terme de « révolution financière » apparaît adapté. Aux Etats-Unis, plusieurs milliards de $ sont concernés, et ce total double chaque année, comme dans l’ensemble des pays développés. En France, une totalisation partielle aboutissait en 2012 à 25 M€, 17 500 projets et 300 000 épargnants, niveaux déjà dépassés au seul premier semestre 2013 avec respectivement 33 M€, 24 000 projets et 500 000 épargnants.

Deux facteurs principaux et durables sous tendent cette dynamique. D’une part la qualité des solutions techniques numériques qui permettent un accès inédit et peu coûteux à l’information et, d’autre part (et surtout), les aspirations de nos contemporains : circuits courts, goût pour l’autonomie et l’entrepreneuriat, souhait de participer à des projets porteurs de sens et de passion, etc., le tout dans une époque marquée par le recul de la confiance dans les experts et les institutions financières.

Cette dynamique comporte des risques :

  • que les projets soient insuffisamment sélectionnés et accompagnés, ce que les plateformes ne peuvent assurer seules,
  • que les épargnants ne bénéficient pas des pré-requis souhaitables pour analyser certains types de projets,
  • que la part des projets à fort impact économique et sociétal (entreprises classiques ou solidaires, projets d’intérêt général) demeure faible dans le total financé ; en effet à l’origine ce sont surtout des projets à fort contenu affectif qui ont été soutenus, notamment par le don, et, actuellement, ce sont les prêts à la consommation qui progresse rapidement,
  • que le développement se trouve freiné dans notre pays par la réglementation, la difficulté à élargir les collectes au- delà des premiers cercles relationnels, et que les plateformes de notre pays ne disposent pas d’un marché intérieur suffisamment dynamique pour assurer leur croissance en France et à l’international.
  • Le sujet est particulièrement crucial dans notre pays, marqué par la concentration des responsabilités, où l’aspiration à la responsabilité, à l’entrepreneuriat, à l’initiative individuelle et collective a souvent été bridée.

Pour que la dynamique en cours contribue à faire réussir en France le changement culturel et civique attendu, il importe que l’ensemble des parties prenantes concernées (institutions, acteurs financiers et de l’appui à l’entrepreneuriat, organisations en charge du développement territorial, les épargnants, etc.) prennent en compte les conditions de bon développement de la finance participative, ses enjeux et risques sous-jacents.

La tenue à Bercy des 1ères Assises nationales consacrées à la finance participative, et l’annonce par la ministre Fleur Pellerin d’évolutions réglementaires positives (soumises à consultation jusqu’au 15 novembre), montrent que les institutions nationales sont attentives. La légitimité acquise par l’association Financement Participatif France, qui regroupe l’essentiel des plateformes et un certain nombre d’experts et d’organisations partenaires, constitue également un facteur très positif (elle a organisé les Assises).

Il n’en demeure pas moins que l’action et l’appropriation doivent se diffuser largement et rapidement. 

Il y a à cet égard des signes positifs :

  • la volonté d’échange exprimée par plusieurs grands réseaux d’appui dans le domaine de l’entrepreneuriat,
  • l’organisation de réunions territoriales de sensibilisation (le « Tour de France ») [1],
  • le lancement par la BPI du portail www.tousnosprojets.fr permettant d’accéder à l’ensemble des projets présentés par les différentes plateformes (avec possibilité de trier ces projets selon divers critères),
  • le lancement ici ou là d’opérations de dynamisation territoriales grâce à la finance participative (ex du PNR de Haute Chevreuse).

Les organisations en charge de l’économie sociale et solidaire ont quant à elles longtemps privilégié les solutions de financement collectives. 

L’épargnant était invité à soutenir un objectif solidaire, notamment en apportant son argent à des fonds spécialisés, mais devait laisser aux gestionnaires de ces fonds la responsabilité de sélectionner les projets à financer.

Les formes alternatives de financement devaient rester collectives :

  • le « cigalier » qui investissait à titre personnel dans un projet connu de son club Cigale n’était pas toujours bien perçu,
  • il y a quelques années, une « Bourse des financements solidaires » avait été mise en place et ses responsables avaient exclu d’emblée les apports d’investisseurs individuels.

Ces situations témoignaient sans doute d’une certaine défiance à l’égard de l’individu, et d’un crédit apporté a priori au collectif. Ces préventions n’étaient cependant pas absolues, ainsi la NEF a-t-elle très tôt permis à ses souscripteurs de connaître la liste des projets financés, ce qui, à défaut de donner à ces souscripteurs une possibilité de choix, leur offrait, en plus d’une réelle transparence, la possibilité d’un contrôle a posteriori.

La dynamique participative offre heureusement la possibilité de revisiter ces préventions. Les organisations de l’économie sociale et solidaire ont rapidement pris en compte la création de plateformes dédiées à ce domaine et l’intérêt qu’elles représentent. Ces organisations sont présentes et actives dans la fédération Financement Participatif France et dans ses actions.

Cette évolution paraît aller dans le bon sens et représenter une possibilité de réaliser encore mieux le projet de l’économie sociale et solidaire.

L’accomplissement des personnes, individuel et collectif, leur meilleure connaissance et contrôle de leurs actes et de leur environnement, leur prise de responsabilité accrue, constituent sans doute à la fois un objectif et une condition de la réalisation d’une autre économie.

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