Tribune
Publié le 12 décembre 2014
Denis Stokkink

Denis Stokkink

Président du Think & do tank "Pour la Solidarité"

La loi française relative à l’ESS dans le contexte européen

Les acteurs européens de l’économie sociale ont suivi ces derniers mois les débats à propos de la loi française économie sociale et solidaire (ESS), et se sont réjouis que la France ait enfin adopté cette législation spécifique, qui manquait encore dans ce pays au terreau propice à l’émergence de penseurs et acteurs de l’ESS, et ce depuis plus d’un siècle.

Vu de l’étranger, c’est le caractère hybride de cette loi qui est le plus souvent souligné : elle comporte tant des articles fondamentaux qui positionnent l’ESS dans le champ législatif français, que des articles techniques, inspirés par le monde des SCOP .

Les autres lois ESS en Europe


D’autres pays ont précédé la France en élaborant un cadre législatif relatif à l’ESS. Si chaque loi est différente et adaptée au contexte national, nous avons pu distinguer trois types de « loi ESS ». Il existe tout d’abord des lois cadres « fortes », soutenues par une sphère de l’économie sociale organisée et puissante, comme au Portugal (2013) ou en Espagne (2011), où le secteur coopératif est inscrit dans la Constitution depuis 1974 et 1978. 

L’économie sociale est aussi un secteur historiquement important en Italie, qui s’est dotée de lois qui sont plus « techniques » : pas de loi cadre, mais une loi sur l’entreprise sociale depuis 2005 et surtout le premier cadre législatif en Europe sur les coopératives sociales depuis 1991, qui a inspiré beaucoup d’autres pays. On retrouve le même type de lois en Belgique (une loi nationale complémentaire aux lois régionales) ou au Royaume-Uni dans le cadre du projet de Big Society qui encourage l’économie sociale, aux dépens des services publics et de la protection sociale publique. 

Enfin, des cadres législatifs sont encore en développement dans des pays d’Europe Centrale et Orientale comme la Pologne ou la Roumanie.

L’Union européenne (UE) a marqué de son empreinte plusieurs de ces législations. C’est le cas en Grèce (loi « forte ») où l’UE a clairement encouragé le vote de la loi sur l’économie sociale et l’entrepreneuriat social, les entreprises sociales étant considérées comme des actrices clés pour sortir de la crise. La Commission a même investi 60 millions d’euros, à travers le Fonds social européen, pour y développer un écosystème permettant le déploiement de l’ESS.

Politiques européennes en matière d’économie sociale


Outre l’existence de lois nationales, la Commission européenne elle-même a promulgué des textes fondateurs, qui relèvent soit d’une vision de l’économie sociale en lien avec les quatre familles reposant sur des statuts, soit d’une vision relative à la finalité sociale des entreprises sociales. La directive et le règlement pour la société coopérative européenne (2002-2003) sont issus de cette première vision. Les autres statuts (mutuelles, fondations, associations) sont débattus depuis longtemps, mais aucune législation européenne n’a encore été adoptée en la matière. 

Les 28 États membres n ‘ont en fait pas tous des textes juridiques propres à chacun de ces statuts, et l’expression « économie sociale et solidaire » n’existe pas en tant que telle dans toutes les langues… ce qui ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas de facto des acteurs de l’économie sociale, mais ils ne sont pas reliés dans un ensemble « économie sociale » (« et solidaire »). Pour sortir de cette impasse, la Commission européenne, notamment sous l’impulsion du Commissaire Barnier, a élaboré une seconde approche, basée sur la finalité sociale, qui a abouti à l’« Initiative pour l’entrepreneuriat social » en 2011. La dénomination « entreprise sociale » a permis de développer un cadre européen compréhensible dans tous les États et dans toutes les langues. Cette initiative définit l’entreprise sociale sur base de trois critères : la finalité sociale, la gouvernance démocratique, et la distribution limitée des excédents. Ces critères et cette vision, fruits de compromis, ont permis de dessiner enfin une base commune pour l’ESS à travers l’Union européenne.

Par ailleurs, l’UE traite plutôt l’ESS comme un enjeu transversal, aucune instance n’étant dédiée spécifiquement à l’économie sociale, qui est plutôt appréhendée en fonction de ses thématiques : inclusion sociale, services à la personne, innovation sociale, entrepreneuriat, santé, etc.

La loi française dans le contexte européen

La France a donc, d’une part, rejoint les pays disposant d’une législation reconnaissant les acteurs de l’ESS ; sa loi propose en outre des pistes pour le déploiement du secteur, en assurant son financement ou sa structuration. D’autre part, au niveau transnational, la Commission européenne a porté elle aussi un texte fondateur pour le développement de l’économie sociale. Il reste toutefois des enjeux fondamentaux à concrétiser à l’échelle de l’UE, notamment en ce qui concerne le statut de la mutuelle européenne, ou les suites de l’Initiative pour l’entrepreneuriat social au sein de la nouvelle Commission européenne, en place depuis le mois d’octobre.

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