Initiative inspirante
Publié le 9 janvier 2012

La mesure, une monnaie locale et complémentaire à Romans

Billet rose de une Mesure
Mots clés
monnaie locale
monnaie complémentaire

Le projet de monnaie locale délimité au bassin de vie de Romans-Bourg-de-Péage s’est concrétisé au printemps 2011. Son nom : "La mesure". Cette initiative démocratique est portée par des citoyens désireux de redynamiser les filières économiques locales, encourager l’économie sociale et solidaire et faire de l’éducation populaire. Une monnaie sur mesure pour ce territoire de 40 000 habitants situé dans la Drôme.

« Un Monopoly éthique pour Bobos, si on en reste là, ça ne sert à rien de créer une monnaie locale complémentaire ! » lance, un rien provocant, Michel Lepesant, l’un des trois fondateurs de « Commune mesure », l’association à l’origine de la monnaie locale de Romans-sur-Isère baptisée… « La mesure ».

« La monnaie, précise ce professeur de philosophie qui se présente comme un « objecteur de croissance », ne doit pas être une fin en soi, mais un moyen. Notre projet, qui s’est concrétisé le 28 mai, après deux ans de réflexions, vise ainsi trois objectifs : relocaliser l’économie, encourager les prestataires et les utilisateurs à respecter certaines valeurs éthiques et permettre aux citoyens de se réapproprier la question financière. »

Une monnaie au service du territoire - L’usage de « la mesure » étant territorialisé, l’économie locale ne peut qu’être dynamisée. Quand un habitant des communes de Romans-sur-Isère et Bourg-de-Péage ainsi que quelques villages alentour convertit, dans l’un des quatre comptoirs d’échanges, comme la maison de quartier Saint-Nicolas, 50 euros en 50 mesures, il les dépense concrètement sur un territoire aux frontières délimitées par les prestataires membres du réseau de cette monnaie locale. Un argument essentiel quand on sait que 97 % des transactions en monnaies « officielles » circulent dans les sphères spéculatives et seulement 3 % dans l’économie réelle.

En clair, impossible pour « la mesure », qui n’existe que sous forme de billets, bien matériels, de s’enfuir dans les câbles électroniques ou les paradis, Îles Vierges ou Bermudes ! Les seules destinations qui s’offrent à elle sont les tiroirs caisses des prestataires locaux et les porte-monnaie des habitants du bassin de vie de Romans-Bourg-de-Péage. De même, la mesure étant une monnaie fondante (qui perd 2 % de sa valeur chaque trimestre), personne n’a intérêt à en garder pour faire de la spéculation. Enfin, le propriétaire de « mesures » sera incité à les faire circuler dans le réseau local plutôt que de les convertir en euro pour acheter à l’extérieur, puisque cette conversion est taxée à 2,5 %.

En cette fin novembre 2011, six mois après le lancement de « la mesure », ce réseau rassemblait déjà 39 prestataires, comme

  • un magasin de chaussures,
  • un salon de coiffure,
  • une librairie,
  • une coopérative bio,
  • un restaurant,
  • un charcutier,
  • un une ferme,
  • un théâtre,
  • un Système d’échanges local (SEL)
  • ou encore une psychanalyste. Ouf !

Autant de commerçants, artisans, associations ou professions libérales qui s’engagent à s’inscrire dans l’économie sociale et solidaire (ESS), autrement dit, à respecter certaines valeurs éthiques. Comment ? En signant une convention, renouvelable chaque année, intitulée « Au fur et à mesure ». Un titre choisi pour bien souligner le souhait de ne rien imposer d’emblée, mais d’encourager.

Quatre engagements - Précision d’Annie Vital, médiatrice culturelle en archéologie, et autre cofondatrice de cette monnaie locale : « On n’allait pas réserver la mesure à des gens qui font déjà « tout bien » et s’ériger en moralisateur. C’est pour cela, par exemple, que le Café central, qui refuse de se définir uniquement à travers son activité marchande et met l’accent sur sa dimension de créateur de lien social, est le bienvenu. L’idée, c’est de faire le chemin ensemble en s’interrogeant : comment mettre du sens derrière nos activités ? »

Les questions posées sur cette feuille de route s’articulent en quatre groupes :

  1. participer à la vie locale (en relocalisant par exemple les fournisseurs ou en privilégiant les circuits courts) ;
  2. intégrer la dimension écologique (sélection de produits bio, réduction des déchets ou économie d’énergie) ;
  3. contribuer à une société plus décente (activité d’utilité sociale ou solidaire, prise en compte de critères sociaux ou éthiques dans le choix des fournisseurs) ;
  4. l’humain et le citoyen (relations conviviales ou organisation démocratique).

Face à ces questions, cinq types de réponses sont proposés : oui / en cours / non / pas applicable / nous ne savons pas faire.

« C’est vrai que l’on voulait dépasser le « syndrome de l’enfermement local », remarque Michel Lepesant, dans un redoutable clin d’œil au SEL. Pour autant, pas question de lancer un nouveau moyen d’échange n’importe où, avec n’importe qui, pour n’importe quoi. » Bref, une monnaie locale oui, mais pas à n’importe quel prix !

A noter que, dans cet esprit de recherche d’éthique, les euros échangés sont placés sur un compte de la société coopérative de finances solidaires, la NEF. En parallèle, les cofondateurs de « la mesure » envisagent de créer un fonds d’épargne et d’investissement solidaire pour financer des projets locaux et éthiques. Enfin, par souci de solidarité, ils réfléchissent à un moyen de permettre à des personnes disposant de très peu d’euros d’intégrer le réseau, par exemple en fonction de critères sociaux économiques, ou en échange d’activités d’utilité sociale, solidaire et écologique.

Un outil d’éducation - Dernière ambition : faire de l’éducation populaire. Comme le raconte Michel Lepesant : « La mesure est un projet ascendant. Une initiative citoyenne. Un projet démocratique dans son objet comme dans sa méthode. Dès la première étape, celle des explorations (printemps-été 2010) nous avons ouvert au public notre première réunion afin de réfléchir ensemble : qu’est-ce que la monnaie ? A quoi pourrait servir une monnaie locale ? De même pour la deuxième étape, celle des fondations (septembre-décembre 2010) lorsque nous avons rédigé les textes qui organisent notre association et décrivent le fonctionnement de notre monnaie locale. Jusqu’à la troisième étape, celle des constructions (janvier-mai 2011), pendant laquelle nous avons, notamment, délimité le réseau des prestataires et imprimé les billets. »

A chaque étape, l’association Commune mesure, qui rassemble aujourd’hui une centaine d’adhérents répartis en trois collèges (utilisateurs, prestataires et fondateurs), tous situés sur un pied d’égalité, ont ainsi « mis les mains dans le cambouis et fait, ensemble, de la politique autrement pour une réappropriation de la monnaie. »

Yanouch Hennetin, présidente de la Maison de quartier Saint-Nicolas, et prestataire membre du réseau, est convaincue de cette dimension politique de « la mesure ». « Moi, ça m’a beaucoup appris. C’est une piste d’espoir pour tous les citoyens. En période de crise financière et sociale, il fallait un certain culot pour lancer cette initiative. Et puis, c’est créateur de lien social : quand je paye en « mesure », à chaque fois, je discute avec le commerçant. Sans « la mesure », je ne me serais pas permis de poser des questions. J’ai ainsi une connaissance du métier de l’autre. »

Un rôle pour les élus et les collectivités - A propos de politique, quel est le rôle des élus locaux face à un tel projet ascendant ? Jean-David Abel, adjoint à la mairie de Romans-sur-Isère, délégué notamment au développement durable, s’empare de la question en posant une autre interrogation : « maintenant que « la mesure » a pris son essor, comment peut-on l’accompagner au mieux et prendre notre part dans l’élargissement de son usage ? »

Pour Michel Lepesant, une mise au clair s’impose : « Dès que le projet est suffisamment lancé, et à partir du moment où les institutions accordent leur reconnaissance à une démarche dont elle n’ont eu, ni l’initiative, ni la maîtrise, alors il est possible de les intégrer au projet. »

  • Soit à travers un soutien technique, en autorisant l’usage de la monnaie locale pour payer des services territoriaux, tels que la médiathèque, la cantine ou la piscine ou bien en communiquant sur le projet.
  • Soit en apportant un soutien financier, par exemple en garantissant les prêts à 0% ou en versant une aide écologique en monnaie locale.

Et Michel Lepesant de déposer un petit caillou dans la chaussure de l’élu : « ce soutien est non seulement possible, mais il est en plus légitime : les financements que l’ont dit accordés proviennent quand même des citoyens eux-mêmes. » Dernière question : « Quelle sont les limites à « la mesure » ? » Réponse du philosophe : « Le monde autour ! ».

Article tiré de la Gazette des Communes : Romans-sur-Isère bat « La mesure ».

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