Tribune
Publié le 12 juin 2013
Eric Dacheux

Eric Dacheux

Responsable du master dédié à l’ESS, Clermont Université

La professionnalisation par la recherche : un atout pour l’ESS

Le monde a changé, pourquoi continuer à enseigner des méthodes de gestion qui ont fait faillite ? Pourquoi, surtout vouloir à tout prix les appliquer aux organisations de l’économie sociale et solidaire alors que, depuis quinze ans, l’université invente une autre manière de concevoir la professionnalisation des futurs cadres de l’ESS.

Les règles de bonne gestion de l’entreprise classique du siècle dernier sont-elles obligatoirement les règles de bonne gestion des organisations de l’ESS de ce siècle ? Oui, si l’on en croit le mouvement actuel qui voit certains dirigeants de l’économie sociale financer des "chaires" ESS dans les écoles de commerce ou ouvrir de coûteuses « Ecole de l’entrepreneuriat ». Non, si l’on se réfère à la valeur centrale de l’ESS : la démocratie. La démocratie, c’est l’impermanence. Ce qui a existé depuis toujours peut disparaître ; ce qui n’est jamais arrivé peut advenir. La démocratie, c’est la possibilité de faire et de défaire les lois qui nous gouvernent. Or, les lois de la gestion des organisations ne sont pas des lois physiques, naturelles, que les gestionnaires mettraient à jour, comme le physicien découvre les équations mathématiques des forces qui régissent l’univers. La gestion est un art, une activité humaine sensible et rationnelle, régulée par des règles sociales qui ont changé au cours des siècles passés et qui peuvent donc changer au cours des siècles à venir. Malheureusement, la plupart des gestionnaires ne sont pas des artistes, des explorateurs de règles nouvelles, mais des systémistes qui cherchent, en vain, depuis deux siècles, la recette universelle parfaite. Il est temps de changer de logiciel. Par exemple, en cessant d’opposer professionnalisation et recherche, en arrêtant de croire que les écoles de commerces forment des managers tandis que les universitaires fabriquent des chômeurs.

Le RIUESS : une expérience sur laquelle il conviendrait de capitaliser

Le Réseau interuniversitaire en économie sociale et solidaire est né (RIUESS), à la fin du vingtième siècle, quand la mode, dans les écoles de commerce, était plus au management par la qualité qu’à la responsabilité sociale des entreprises. Ce réseau regroupe une vingtaine d’établissements, il se bat depuis près de quinze ans pour qu’existent des formations de qualité formant des dirigeants compétents de l’ESS. Les promotions des étudiants du réseau possèdent des taux d’insertion qui n’ont rien à envier aux écoles de commerce. Plutôt que de céder aux idées préconçues, les responsables de l’économie sociale devraient prendre conscience que l’enjeu central pour l’avenir est celui du lien entre enseignement et recherche. Lien, depuis toujours, au cœur de l’activité universitaire.

En effet, la question centrale est celle des objectifs des savoirs enseignés. Les écoles spécialisées forment des managers, c’est-à-dire des personnes qui appliquent des recettes toutes faites pour augmenter la productivité du travail ; les universitaires du RIUESS s’efforcent de former des citoyens critiques compétents dans le domaine de l’ESS. Compétents, c’est-à-dire capables d’inventer les outils et les modèles propres à la spécificité du secteur. Là est toute la différence entre les écoles de commerce et l’université, là est le véritable enjeu.

La recherche est désormais une des conditions nécessaire de la professionnalisation

Le métier d’universitaire consiste à former des citoyens capables d’exercer leur esprit critique. Dans une société de la connaissance en émergence, cette capacité est vitale pour l’avenir de nos démocraties mais aussi nécessaire à la professionnalisation des cadres de l’ESS. En effet, personne ne sait quels seront les besoins des organisations de l’ESS dans les dix ans qui viennent. La plupart des salariés de l’ESS devront plusieurs fois changer de métiers. Dans ces conditions, la capacité d’apprendre à apprendre sera un critère essentiel pour trouver un travail. De même, les cadres dirigeants devront, face à un événement imprévu, réunir des informations pour mieux construire les données du problème, choisir des méthodes pour le résoudre, formuler différentes hypothèses de manière claire et équilibrée, etc. Autant d’opérations qui sont au cœur de la recherche telle qu’on l’enseigne à l’université.

La recherche est désormais une des conditions nécessaire de la professionnalisation. Par exemple, au niveau master, l’initiation à la recherche permet de favoriser un recul critique nécessaire à toute fonction d’encadrement et forme un apprentissage in vivo de la conduite de projet. Être capable de travailler de manière autonome sur un sujet complexe en produisant un résultat personnel, c’est prouver sa maîtrise de l’information, sa capacité à innover et à conduire une mission jusqu’à son terme dans des délais impartis. S’il faut, bien entendu, des compétences professionnelles, il ne s’agit plus, dans les formations universitaires à l’ESS de savoir appliquer des recettes puisque ces dernières deviennent obsolètes de plus en plus rapidement. Il s’agit, au contraire, de comprendre l’aptitude à substituer un ingrédient à un autre et, surtout, d’être capable d’inventer de nouveaux mécanismes correspondant à la situation nouvelle. Gymnastique intellectuelle qui s’acquiert par une initiation à la recherche combinant approche critique de l’ESS et études empiriques de terrain.

A l’université, professionnaliser par la recherche, c’est donc, d’une part, former des citoyens capables de remettre en cause un système économique non soutenable et, d’autre part, former des dirigeants de l’ESS capable d’innover. Renforcer la démocratie, tout en renforçant l’ESS.

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