
Le mutualisme, un modèle d'avenir
Retour sur le petit-déjeuner avec Daniel Baal autour de l’ouvrage « Pour une société plus mutuelle »
Daniel Baal, président du Crédit Mutuel, était l’invité d’un petit déjeuner organisé par le Labo de l’ESS et l’Association des lecteurs d’Alternatives économiques le 11 juillet 2025.
Il venait présenter son ouvrage « Pour une société plus mutuelle », co-écrit avec Nicolas Théry, auquel il a succédé l’année dernière après avoir dirigé le groupe bancaire sous sa présidence.
Le livre, publié à la mi-mai aux Éditions de l’Aube, propose l’analyse rétrospective de sept années de transformation interne au sein du groupe bancaire, nourries par l’adoption du statut d’entreprise à mission en 2020.1
Introduite par Marthe Corpet, administratrice de l’Association des lecteurs d'Alternatives économiques, et animée par Bastien Sibille, vice-président du Labo de l’ESS, la rencontre a permis d’échanger autour de la vitalité et l’actualité du modèle mutualiste face aux grands défis du XXIe siècle, à partir du témoignage de Daniel Baal sur ces années charnières pour le Crédit Mutuel.
Une discussion participant à la réflexion engagée par le Labo de l’ESS sur les mutualisations, avec le soutien d’Aéma Groupe, dans le dossier « Quelles mutualisations face aux défis écologiques et sociaux du XXIe siècle ? »

Un engagement sociétal traduit dans les actes
Devenir société à mission ne s’est pas fait sans débats, rappelle Daniel Baal. Au cœur de ceux-ci, une question fondamentale : une mutuelle agit-elle au service de ses membres ou, plus largement, à destination de l’ensemble de la société ? C’est cette vision plus large de ses missions que le Crédit Mutuel a choisi en devenant la première banque française à adopter ce statut.
Une décision faisant écho à l’étymologie latine du mot « mutuel » (mutuum) qui, rappelle Marthe Corpet, renvoie à la réciprocité, l’égalité et l’auto-organisation des citoyen·ne·s autour d’un projet et pose donc la question de la dimension politique d’un tel engagement. Dans un contexte de montée des inégalités sociales, de crises écologiques et de recul des soutiens publics au monde associatif, quelle place une banque mutualiste peut-elle prendre dans le débat public ? Pour Daniel Baal, l’entreprise ne peut plus se contenter d’être une actrice neutre : elle doit porter des valeurs, des combats, et assumer une responsabilité politique, certes non partisane mais pleinement citoyenne.
Face à la progressive remise en question de cette dimension politique des actions portées par les organisations de l’ESS, choisir de servir le bien commun relève d’un véritable positionnement stratégique et non d’une simple action de communication.
Au Crédit Mutuel, l’engagement se traduit en actes : suppression du questionnaire de santé pour les prêts immobiliers, prêt étudiant à taux zéro, et surtout création d’un dividende sociétal équivalent à 15 % du résultat net annuel (soit 574 millions d’euros en 2024), réinvestis dans des projets à impact social et environnemental.2
Une transformation qui se joue également dans le fonctionnement interne
Si être une entreprise à mission suppose un engagement débordant le cercle de celles et ceux qui constituent l’organisation mutualiste, cela se traduit également par une évolution des pratiques internes.
Du côté des ressources humaines, le Crédit Mutuel a mis en œuvre des actions fortes comme la parité obligatoire dans les promotions, la correction des écarts salariaux femmes-hommes, un dialogue social renforcé, entre autres. Cette cohérence entre discours et pratiques est également perçue comme un atout en matière d’attractivité. Daniel Baal souligne que de nombreux jeunes rejoignent aujourd’hui le groupe pour donner du sens à leur travail.
La gouvernance elle-même a évolué, avec la désignation de dirigeantes à des postes de direction et la formation des administrateur·rice·s mutualistes. Ainsi, pour accéder à des postes de direction, les collaborateur·rice·s doivent suivre un cursus de formation terrain de cinq mois, qui ne démarre que si la parité y est strictement respectée. Des actions nécessaires à la vitalité de la vie démocratique mutualiste.

Faire face à l’ultralibéralisme
L’ouvrage positionne clairement le modèle mutualiste en alternatives à un ultralibéralisme mettant en danger la cohésion de notre société et son environnement.
Parmi les sujets de préoccupation évoqués lors de cet échange : le projet de règlement européen Framework for financial data access (FIDA). Ce texte entend étendre aux assureurs le partage des données de leurs client·e·s avec des tiers.
Si le principe d’une concurrence saine est reconnu, Daniel Baal alerte sur les risques majeurs que représente une telle mesure pour la mutualisation des risques, essentielle au modèle assurantiel dans son ensemble.
En permettant l’accès à ces données sensibles, le règlement FIDA faciliterait en effet la sélection des « bons risques » par certain·e·s acteur·rice·s, avec pour cause une segmentation du marché qui ferait reposer sur les assureurs solidaires la prise en charge des publics plus fragiles. Un contresens face aux enjeux de solidarité en réponse aux crises écologiques et sociales, selon Daniel Baal.
Pour en savoir plus sur le règlement FIDA, consulter le décryptage « FIDA : quels risques de démutualisation pour l’assurance ? » du Labo de l'ESS.
Un ouvrage pour interroger les pratiques et le modèle mutualiste
La présentation de l’ouvrage « Pour une société plus mutuelle » a servi de point d’appui pour animer cet échange qui a permis de questionner la portée réelle des engagements des entreprises mutualistes dans un contexte de transition économique, sociale et écologique.
Au-delà du témoignage de transformation interne d’un grand groupe bancaire comme le Crédit Mutuel, le livre interroge la capacité des structures à conjuguer performance économique, ancrage territorial et responsabilité politique. Les échanges ont permis de confronter cette expérience à d’autres réalités du secteur, de questionner sa portée transformatrice, et d’alerter sur les menaces qui pèsent, notamment au niveau européen, sur les principes de solidarité et de mutualisation.
[1] Le statut d’entreprise à mission a été créé par la loi Pacte de 2019. Cette qualification a pour objectif de permettre à une entreprise d’affirmer publiquement un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux qu’elle se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité.
[2] Pour en savoir plus sur ce dividende sociétal, rendez-vous sur le site du Crédit Mutuel.
Article rédigé par Elodie Guerreiro Chalaça