Tribune
Publié le 22 février 2013
Danièle Demoustier

Danièle Demoustier

Socio-économiste, maîtresse de conférences à l’Institut d’études politiques de Grenoble

Les pôles territoriaux de coopération économique : une perspective ambitieuse

Après 30 ans d’innovation sociale pour construire de nouveaux services plus adaptés à la redéfinition des besoins sociaux, l’économie sociale et solidaire (ESS) se préoccupe maintenant des modes de structuration de ces innovations. L’émiettement, lié à l’émergence, est en effet devenu un frein à la consolidation des structures et un vecteur de concurrence qui les affaiblit collectivement. Deux principaux processus lui sont offerts : la concentration et la coopération.

La concentration a l’avantage de permettre des "économies d’échelle" à court terme, très recherchées en période de pénurie budgétaire ; mais elle a l’inconvénient d’une part de rendre plus anonyme la relation de service du fait de l’importance de la taille alors que l’ESS est appréciée pour l’individualisation et la différenciation des services rendus ; d’autre part de techniciser l’activité (la normer au-delà de la professionnalisation) au détriment de l’apport volontaire des bénévoles et de la gouvernance démocratique.

Les économistes du développement territorial ont montré que la coopération peut être un vecteur d’attractivité et même de compétitivité des territoires (le soutien aux pôles de compétitivité en est un exemple) tout en préservant l’autonomie des organisations et de leurs membres et en apportant une certaine flexibilité dans les relations entre entreprises.

Ainsi de nouvelles formes d’intercoopération ont vu le jour, pour pérenniser les organisations (au-delà de leur simple fonction de laboratoire), enclencher de nouveaux processus d’innovation et accroitre leurs effets d’entrainement et leurs externalités sur les territoires.

Les pôles territoriaux de coopération économique prêts à relever de nombreux défis, et… à s’inscrire dans un nouveau modèle de "sortie de crise" ?

La constitution des Pôles Territoriaux de Coopération Economique" (PTCE) permet de décloisonner des acteurs et des activités (au sein et en dehors de l’ESS) pour acquérir une approche plus transversale des territoires et faire jouer les complémentarités plutôt que les concurrences.

Comme nouveau concept, le PTCE n’est pas encore stabilisé. Il recouvre des réalités fort diverses selon les acteurs et les territoires où il répond à différents enjeux :

  • la mutualisation de moyens principalement immobiliers qui peuvent se prolonger dans une mutualisation de matériel, voire de trésorerie, de commercialisation...
  • l’intégration de plusieurs activités dans un « conglomérat » qui permet des synergies (notamment dans les parcours d’insertion et la consolidation de compétences nécessaire à la défense des emplois locaux sur des territoires en dévitalisation) ;
  • la construction de véritables filières sectorielles en maitrisant l’amont et l’aval de l’activité, pour la rendre moins dépendantes des acteurs extérieurs (publics comme privés) comme dans l’alimentation ou la culture ;
  • la promotion plus politique de l’ESS comme agences de développement qui accompagnent la mobilisation des acteurs autour d’une identité commune ;
  • l’internalisation de la solidarité dans l’activité économique par l’articulation entre services rendus à différents groupes sociaux du territoire.

Ces PTCE doivent relever de nombreux défis, car malgré la référence constante à la coopération, l’ESS sait mieux la pratiquer en interne qu’en externe, de façon nationale (via les fédérations) que locale.

Il s’agit donc d’articuler un ancrage sectoriel (sur la base de l’activité ou du public) avec un ancrage territorial (sur la base de la transversalité et de l’horizontalité).

Il s’agit de passer de la simple mutualisation de moyens (simple cohabitation) à la mutualisation de projets.

Il s’agit de dépasser le clivage entre développement économique (considéré comme producteur de richesse) et développement social (considéré comme simple redistribution de cette richesse) pour concevoir leur apport à un développement territorial socio-économique équilibré et solidaire.

Il s’agit d’intégrer la formation et la recherche dans un monde très marqué par l’autodidaxie, les apprentissages internes et l’expérimentation.

Il s’agit de construire des processus d’évaluation autour de l’utilité so0.cio-économique de ces pôles, qui prennent en compte non seulement les résultats, mais aussi les processus et les impacts (en terme d’effets d’entrainement et d’externalités) et les faire reconnaître par les partenaires.

Il s’agit enfin de trouver les formes d’organisation et d’animation qui ne conduisent pas à recréer des superstructures qui rigidifient excessivement les relations entre les membres mais les activent et les fluidifient.

Les PTCE pourraient ainsi s’inscrire, non pas seulement dans la phase actuelle de "gestion de crise", mais surtout dans un nouveau modèle de "sortie de crise". Si l’on fait l’hypothèse que ni le modèle "fordiste" (d’une économie mixte) des années 1950-1970, ni le modèle de la dérégulation (concurrentielle) des années 1980-1990, n’est susceptible de mettre fin aux destructurations socio-économiques en cours, il est de la responsabilité des acteurs de l’ESS de construire une perspective nouvelle. Aux côtés des coordinations administrative et concurrentielle, la coordination coopérative (ou "régulation coopérative") sur les territoires peut être un formidable levier pour une économie de la proximité (qui valorise les activités territorialisées), de la connaissance (où les rendements croissants s’appuient sur des pratiques collaboratives), de la fonctionnalité (où l’usage prime sur la propriété individuelle), de la circularité (où la collectivité préserve les ressources naturelles comme "biens communs").

Ces coopérations territoriales permettront alors d’imaginer des coopérations supra locales qui participeront à redéfinir les règles générales de la production et de l’échange.

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