Tribune
Publié le 22 octobre 2015
Aurélie Trouvé

Aurélie Trouvé

Ingénieure agronome, Enseignante-chercheure

Pour une PAC solidaire et écologique

Produire toujours plus par hectare, par travailleur, par bête et par exploitation, au détriment de l’emploi, de l’environnement, des conditions sanitaires et du bien-être animal : voici comment on pourrait résumer le modèle productiviste qui s’est développé dans l’agriculture, en France et ailleurs, depuis plusieurs dizaines d’années. L’agriculteur doit cultiver de plus en plus d’hectares. Pour ce faire, il doit acheter des engins toujours plus gros et pour les faire passer, doit faire disparaître haies, fossés, chemins ou zones humides. Pour obtenir les meilleurs rendements, il doit déverser de plus en plus d’engrais et de pesticides, irriguer davantage, stopper ses rotations de cultures, développer la monoculture et sélectionner de plus en plus ses espèces. En élevage, il réduit ou supprime le pâturage et les prairies et développe une alimentation composé de maïs et soja (pour la plupart importé).

Cette évolution s’est faite au prix d’une destruction de grande ampleur des emplois agricoles. Alors que nous subissons un chômage de masse, vingt-mille emplois disparaissent chaque année dans les fermes de France. Les agriculteurs, qui représentaient le tiers des emplois après la seconde guerre mondiale, n’en représentent plus que 3%. C’est près d’un million d’emplois en vingt ans qui ont disparu. Cette destruction d’emplois agricoles passe presque inaperçue dans la société française : pas de plans sociaux ni de délocalisations, le plus souvent ce sont juste des exploitations non reprises à la retraite des agriculteurs et des terres récupérées par d’autres, plus grosses.

C’est une politique de l’Union européenne, la Politique agricole commune (PAC), qui constitue la principale forme de soutien et d’orientation des agricultures. Elle représente 40% du budget européen, soit 50 milliards d’euros par an. Les aides ainsi versées aux agriculteurs français s’élèvent en moyenne, sur les dernières années, à la totalité de leur revenu. Pour la plupart, elles sont perçues par hectare avec un montant calculé selon les versements historiques. Censées donc ne pas créer de « distorsion de marché », ces aides substantielles à l’hectare n’en sont pas moins des subventions en fonction du capital - la terre -, au lieu de soutenir l’emploi et les services environnementaux rendus par les agriculteurs.

Les prix européens étant par ailleurs dérégulés, ils peuvent désormais fluctuer au gré des prix internationaux : en découle une instabilité accrue des marchés, des variations de prix du lait, de la viande ou des céréales sans commune mesure avec ce qu’il en coûte de les produire. Quand les prix sont au plus bas, nos agriculteurs ne peuvent subsister sans la perfusion d’aides très importantes. A l’inverse, quand les prix sont hauts, ces aides constituent des rentes indues versées à certains producteurs, puisqu’elles viennent s’ajouter à leurs bénéfices déjà élevés.

Presque toutes les aides ne sont plafonnées ni par ferme ni par travailleur. 80% des aides directes sont versées à 20% des bénéficiaires. Ces bénéficiaires sont les plus grandes exploitations, celles qui dégagent le plus fort chiffre d’affaires, les plus forts rendements mais qui souvent emploient le moins de monde par surface cultivée. Les aides versées aux exploitations sont d’autant plus élevées qu’elles présentent de mauvais indicateurs environnementaux : plus on pollue, plus on touche d’aides et vice-versa. Non seulement la PAC ne favorise pas les agricultures les plus vertueuses du point de vue environnemental et social, mais elle les dessert. La régulation des marchés a ainsi laissé place à un système extrêmement inégalitaire de soutien aux agriculteurs, à hauteur de dizaines de milliards d’aides par an.

Faut-il pour autant appeler à supprimer la PAC et toutes ses subventions, sans que rien d’autre ne vienne les remplacer ? Difficile d’aller dans ce sens, car les prix agricoles sont tellement faibles que beaucoup de fermes ne pourraient subsister. Que pourrait-on faire ?

D’abord construire une autre PAC, avec un versement de l’ensemble des aides en fonction de l’emploi et de l’environnement et avec une régulation des marchés qui permette aux agriculteurs de ne plus subir leur fluctuation. Une harmonisation des normes sociales et environnementales européennes, également, qui permette aux agricultures, confrontées à une concurrence débridée, de ne plus subir de dumping et de nivellement par le bas des pratiques agricoles. Des politiques ambitieuses, enfin, en France et dans les régions. Ainsi, l’approvisionnement par les circuits courts ou en produits biologiques dans toute la restauration collective (éducation nationale, hôpitaux…) pourrait être bien davantage favorisé : c’est le meilleur moyen aujourd’hui pour donner l’accès à tous à une alimentation saine et locale.

Des solutions existent. L’agriculture bio, paysanne et en circuit-court en fait partie et l’ESS lui donne de la force. Développons-les maintenant.

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