Tribune
Publié le 4 novembre 2025
Fatima Bellaredj, présidente du Labo de l'ESS

Fatima Bellaredj

Présidente du Labo de l'ESS

Un autre monde est à notre portée !

De l’avis du plus grand nombre, le Forum mondial de l’ESS qui s’est tenu du 29 au 31 octobre dernier à Bordeaux a été une bouffée d’air frais. Nous étions près de 10 000 participantes et participants venus de plus de 100 pays et près de 1 000 villes ayant répondu présents au Global Forum for Social and Solidarity Economy. Après Dakar, Mexico et Séoul, Bordeaux a accueilli trois journées intenses et riches de sens, d’échanges et de solutions locales et solidaires venues du monde entier.

Nous y avons partagé nos actions, nos visions et nos ambitions, tout ce qui fait battre le cœur de l’économie sociale et solidaire. Ces rencontres, pleines d’enthousiasme et même de sororité, ont culminé par la Déclaration internationale de la jeunesse pour la paix, énoncée dans toutes les langues par une centaine de jeunes. Un moment d’émotion et d’espoir, précieux en ces temps troublés.

Ce forum a aussi mis en lumière ce que l’engagement collectif et volontariste pour l’ESS peut produire à l’échelle d’un territoire : la force d’une ville comme Bordeaux, d’un département comme la Gironde ou d’une région comme la Nouvelle-Aquitaine, unis autour d’un même cap. Il faut saluer le rôle essentiel de la puissance publique lorsqu’elle agit avec et pour les citoyennes et citoyens.

Au Labo de l’ESS, nous connaissons bien ces dynamiques territoriales qui incarnent la transition écologique juste, à travers des initiatives concrètes pour mieux consommer, habiter, produire, manger, travailler. Nous avons la particularité de penser que leur partage contribue au pouvoir transformateur et émancipateur de l’économie sociale et solidaire. Ces trois journées nous ont redonné une énergie précieuse, et il en faut, face à un contexte budgétaire plus que préoccupant.

Car le projet de loi de finances 2026 donne un aperçu de la bataille idéologique qu’il reste à mener pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire. L’État connaît encore trop mal cet écosystème, souvent réduit à une économie subventionnée, perçue comme « non productive ». Une idée tenace, partagée par les sphères économiques et politiques, alors même que l’ESS représente 10 % du PIB et 13,7 % de l’emploi privé. Invisibilisée, elle doit pourtant sans cesse prouver sa valeur, son bienfondé, tout en faisant toujours plus avec moins.

Le rapport récent de la Cour des comptes en apporte enfin la démonstration : l’ESS ne reçoit que 7 % des aides aux entreprises de l’État, soit deux fois moins que son poids réel dans l’emploi. Ce chiffre donne un ordre de grandeur quant au sous-financement structurel de l’ESS et à l’absence de politiques publiques à la hauteur. Paradoxalement, les financements alloués à l’ESS sont suivis de près, quand les aides aux entreprises conventionnelles sont souvent octroyées sans contrepartie, comme l’ont montré plusieurs travaux parlementaires ces derniers mois.

Les projets de loi de finances (PLF) et de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 ne laissent malheureusement rien présager de mieux, avec un effet dévastateur sur le monde associatif et celui de l’insertion par l’activité économique. Le Mouvement associatif a fait entendre une formule qui sonne à la fois comme un cri d’alarme et un constat fidèle de la réalité : « ça ne tient plus ». Car ce qui « ne tient plus », c’est le tissu même de nos liens sociaux. Après un budget 2025 déjà rude, le pire est encore à craindre pour les plus vulnérables. 

Dans ce contexte, ces quelques jours à Bordeaux ont pris la forme d’un défi lancé à tous ceux qui doutent de ce que nous représentons. Qu’ils se le tiennent pour dit : nous ne lâcherons rien de nos ambitions. Nous poursuivrons notre engagement pour prouver qu’une autre politique économique est non seulement possible, mais nécessaire, une politique fondée sur la solidarité, la justice sociale et la transition écologique.

Dans l’obscurité de la période actuelle, il faut garder à l’esprit ces deux éclaircies et en tirer les enseignements : le Forum mondial de l’ESS à Bordeaux, d’abord, véritable démonstration de la vitalité et de la créativité de nos initiatives, puis le rapport de la Cour des comptes, qui confirme, chiffres à l’appui, ce que nous savions déjà : avec deux fois moins de moyens, l’ESS continue à construire la solidarité et la cohésion sociale sur l’ensemble des territoires. Cette capacité de résistance n’aura de valeur que si elle est reconnue et soutenue à la hauteur de son rôle indispensable. 

C’est là l’un des plus beaux héritages de Claude Alphandéry : rappeler que la résistance n’existe que par les résistants. 

Il n’y a pas d’économie sociale et solidaire sans ces milliers de femmes et d’hommes qui, chaque jour, s’engagent, inventent, expérimentent et maintiennent vivante cette autre manière de faire société.

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