
Michel Catinat
GSEF 2025 : un événement mobilisateur et porteur d’espoir
Ayant été présent aux trois journées du Forum mondial de l’économie sociale et solidaire (GSEF) de Bordeaux qui se sont tenues du 29 au 31 octobre 2025, j’en reviens énergisé et mobilisé. Il me semble que la plupart des participants en reviennent avec ce sentiment. À cela diverses raisons.
Ce fut d’abord un succès par le nombre de participants, entre 7 000 et 8 000 personnes d’après les organisateurs. Les salles étaient bondées avec une atmosphère de mobilisation collective. Au total, plus de 100 pays représentés. Ce que craignaient les plus pessimistes – un forum trop franco-français – ne s’est pas produit : les intervenants venaient de tous les continents, d’horizons divers et d’expériences multiples.
Ensuite, – et c’est probablement ce qu’il faut retenir de ce forum – il a été un puissant levier de mobilisation. On ressentait au travers des messages des intervenants et dans l’attitude des participants une volonté de résistance face au contexte politique particulièrement sombre. L’appel de Claude Alphandéry « Engagez-vous à tout faire, partout où vous êtes avec les moyens qui sont les vôtres pour empêcher une nouvelle nuit noire de l’humanité. Agissez comme si vous ne pouviez pas échouer »[1] semble avoir trouvé un écho partout dans le monde et a clairement animé ce forum.
Quelle surprise, car on pouvait craindre après le GSEF de Dakar[2], où les planètes s’étaient alignées pour conduire à une reconnaissance politique mondiale du rôle de L’ESS (plan d’action européen, résolutions de l’ONU et de l’OIT, recommandation de l’OCDE), que s’exprime une forme de découragement et de renoncement.
Le contraire s’est produit. Les témoignages démontraient qu’il est possible d’agir en partant des territoires et encourageaient implicitement à persévérer. Depuis le GSEF de Dakar, l’ESS semble s’être renforcée, assurant sa résilience. Des mécanismes de soutien ou des moyens de financement mieux adaptés ont été présentés par des dirigeants de grands groupes bancaires ou mutualistes (Caisse des dépôts, Crédit coopératif, Groupe VYV, entre autres, pour la France), qui ont déclaré maintenir plus que jamais leurs priorités pour le soutien à l’ESS. De nombreuses initiatives locales ont été décrites qui se développent partout dans le monde malgré parfois un contexte politique totalement défavorable (États-Unis, Argentine, Turquie, République démocratique du Congo, mais aussi Brésil... et probablement d’autres témoignages que je n’ai pu entendre, tant le programme était chargé). Leur réussite a été attribuée à leur approche locale, autonome et citoyenne et également à un savoir-faire hérité des années d’expérience précédentes. « Un autre monde est effectivement déjà là », comme le suggère le programme du forum[3].
Enfin, s’est exprimée tout au long du forum une motivation irriguée par la conscience prégnante que l’ESS est un rempart aux attaques contre la démocratie, qu’elles proviennent des autocraties ambitionnant de détruire les démocraties occidentales ou de l’intérieur, par des gouvernements populistes qui utilisent la coercition politique ou le rapport de force pour s’imposer en bafouant les principes-même de la démocratie.
Cette résistance affichée sera-t-elle suffisante ? Tout espoir est permis tant la mobilisation des acteurs de l’ESS a été forte pour défendre ses valeurs porteuses de solutions face aux multiples déséquilibres. Mais il faut rester réaliste et lucide. Le développement de l’ESS persistera certes mais sera freiné par le contexte politique défavorable, pour ne pas dire hostile dans certains cas. L’enjeu principal va résider dans la durée de ce contexte politique. Notamment aux États-Unis dont la politique actuelle crée tant de tensions néfastes partout dans le monde au détriment du social et de l’environnemental et assèche les moyens financiers des structures internationales. Là, de premières fissures apparaissent, mais dont les effets positifs ne pourront pas advenir avant les élections de mi-mandat de 2026. Le prochain rendez-vous du GSEF, qui se tiendra au Brésil dans la ville de Marica[4] sera, de ce point de vue, important : il permettra de mesurer l’évolution du contexte politique au niveau mondial et d’appréhender la capacité qu’a eu l’ESS à se développer indépendamment de ce contexte.
À la fin du Forum, le nouveau Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Commerce, de l'Artisanat, du Tourisme et du Pouvoir d'achat, Serge Papin, est intervenu. Son portefeuille récemment actualisé – à sa demande – contient l’ESS. Dans son discours, il s’est engagé à soutenir la politique française de l’ESS et a exprimé sa volonté de défendre les intérêts de l’ESS dans les arbitrages gouvernementaux. Il a rappelé son engagement personnel auprès de l'ESS dans sa carrière professionnelle et a montré une connaissance indéniable de l’ESS et de ses rouages. Un signal positif !
Le cru 2025 du GSEF a donc été un forum mobilisateur et porteur d’espoir, dont le succès ne peut que contribuer à la reconnaissance internationale de la France en matière d’ESS. Traditionnellement, une déclaration a été adoptée et est disponible sur le site du GSEF[5].
[1] Était projeté lors du Forum le documentaire « Agissez comme si vous ne pouviez pas échouer » dédié à Claude Alphandéry, grand résistant et, entre autres, fondateur du Labo de l’ESS. Pour en savoir plus : https://www.lelabo-ess.org/faire-vivre-l-heritage-de-claude-alphandery-un-documentaire-pour-transmettre-inspirer-resister
[2] Retrouvez le décryptage de Michel Catinat sur cette précédente édition via ce lien : https://www.lelabo-ess.org/que-retenir-du-forum-mondial-sur-l-economie-sociale-et-solidaire-de-dakar
[3] Retrouvez le programmes des journées via ce lien : https://bordeauxgsef2025.org/
[4] La ville de Marica mène une politique volontariste de développement de l’ESS et ambitionne de devenir le Mondragon de l’Amérique latine en construisant une économie coopérative locale. Cette expérience décrite dans le Forum est très inspirante et montre que l’ancrage territoriale et la volonté locale (ici celle des autorités publiques locales) sont des facteurs décisifs de développement de l’ESS.
[5] Retrouvez la déclaration via ce lien : https://www.gsef-net.org/fr/bordeaux-gsef-2025-declaration

