Tribune
Publié le 21 mai 2021
Claude Alphandéry, Hugues Sibille

Claude Alphandéry, Hugues Sibille

Président d'honneur et Président du Labo de l'ESS

Coopérer

L’Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) pour les Pôles Territoriaux de Coopération Economique, lancé par la Ministre Olivia Grégoire peut être une initiative marquante pour les progrès de l’ESS dont le dynamisme est fondé sur le beau mot de coopération.

Cette relance positive des PTCE suscite une réflexion sur la nature de la coopération et suggère quelques idées pour en renforcer la place.

Est-il naturel de coopérer ?

Le désir de coopérer,  de partager, la confiance en l’autre, le bonheur de l’entente sont des composantes essentielles de la nature humaine, mais n’ont rien d’ exclusif ; ils cohabitent et sont souvent contre carrés par l’intérêt égoïste, le désir de supériorité, de domination, l’hubris.

Et la prédominance de l’esprit coopératif ou celui de l’égoïsme n’est pas seulement génétique, elle dépend largement de l’environnement qui facilite ou entrave l’ altruisme ;  environnement plus ou moins favorable selon la façon dont la société s’organise, ses valeurs culturelles, ses modes éducatifs, selon le système qui assure la cohérence sociale, la juste part faite aux parties prenantes  (celles qui jouent un rôle d’acteur dans la production et la société, les « stakeholders »), c’est à dire non seulement leur représentation délibérative mais leur pouvoir d’agir, d’exercer pleinement leurs choix, leurs responsabilités tout en reconnaissant celles des autres.

Force est de constater que dans notre société et notre siècle l’esprit de concurrence l’a emporté sur celui de coopération jusqu’à l’excès.

De la nature et de la place de la coopération dans la production et la société découle une première idée :

Si la coopération ne se déploie, ne se pérennise que dans un système favorable à la participation des parties prenantes (par exemple s’agissant des entreprises,  la participation de l’entrepreneur, de ses salariés, de ses fournisseurs, de ses divers partenaires), il faut donner envie et pouvoir à celles-ci de participer à la vie des entreprises par la délibération et la décision.

 Le fonctionnement d’une gouvernance démocratique y contribue puissamment en donnant à chaque partie prenante la possibilité de concourir à l’utilité sociale, à l’intérêt général, aux communs, tout en préservant ses intérêts particuliers.

C’est précisément la marque  de l’ESS que de rechercher  dans son fonctionnement le lien étroit entre la solidarité à l’égard d’autrui et celle de tous les acteurs de l’entreprise. Et c’est plus encore la raison d’être des PTCE d’étendre ce lien, ce type de coopération à d’autres entreprises et de leur en donner les moyens conceptuels, juridiques, méthodologiques.

Ce lien très fort entre les finalités sociales et solidaires de l’ESS et son fonctionnement démocratique peut apparaitre encore à certains comme trop politique, trop éloigné de leurs soucis économiques et professionnels.

Mais de plus en plus nombreux dans les lieux où l’on coopère  sont ceux qui loin de bannir le politique (au sens du souci de la cité) au nom du professionnalisme, joignent l’un et l’autre, réintroduisent la démocratie comme partage du pouvoir.

Encore faut il savoir l’organiser. C’est bien là  un des  rôles des PTCE.

La deuxième idée, c’est que la coopération procède par petites initiatives successives et qu’elle n’est jamais complétement aboutie ; elle commence modestement : deux entrepreneurs et un militant associatif s’entendent sur un lien très mince qui par contagion entraine d’autres rapprochements, lesquels, si la gouvernance entre partenaires fonctionne bien, révèlent de nouvelles interdépendances ,par ex. entre l’agriculture, la santé et l’aménagement du territoire…

La transdisciplinarité, le partenariat  procèdent par tentatives. L’esprit de la coopération est de les élargir à d’autres possibilités, d’être ouvert à tout regroupement, à toute innovation. Tel est précisément le rôle des PTCE.

La troisième idée, c’est que le terreau de la coopération est le territoire dont l’espace et le statut, quartier, ville communauté, département, région peuvent varier en fonction des initiatives. C’est sur le terrain, dans la proximité que se nouent, se multiplient les interdépendances, les regroupements, les circuits courts….ils procèdent de réactions locales à des besoins mal satisfaits, à des inégalités criantes.

L’attachement aux territoires n’est cependant pas exclusif de relations plus larges. Il inspire au contraire des formes plus ouvertes de coopération qui deviennent sans rivage.

Ici encore, les PTCE ont un rôle essentiel : élargir les premières tentatives, susciter de nouveaux partenariats, s’installer dans le paysage économique et social, devenir écosystèmes.

Quatrième idée : pour activer, renforcer les motivations individuelles, professionnelles, sociales, politiques, il faut apprendre à pratiquer la coopération. Car celle-ci n’est pas facile à mettre en œuvre.

Elle peine à émerger ou parfois se brise sur l’incompréhension, sur des malentendus qui provoquent un retour à la défiance et le découragement ou simplement sur l’éloignement des principaux animateurs.

Souvent, la bonne volonté ne parvient pas à faire naître un projet tant sont lourdes et résistantes les habitudes de concurrence malsaine, le recours à la mauvaise foi et les obstacles juridiques, fiscaux à la coopération ; ou bien un premier rapprochement stagne ou s’affaiblit faute de moyens humains, , techniques et financiers appropriés.

Ces difficultés ne peuvent être surmontées que par un accompagnement  de qualité. qui se saisisse des bonnes pratiques, des moyens humains et techniques, des modes  juridiques d’organisation et de gouvernance, des aides financières, des méthodes de communication interne et externe, de l’ensemble des outils de mise en œuvre de la coopération.

Un tel accompagnement a souvent manqué jusqu’ici. ; et les PTCE n’en ont pas bénéficié suffisamment.

Espoir !  Les investisseurs publics et privés paraissent mieux comprendre que l’accompagnement est un gage irremplaçable de réussite. Il devrait s’imposer comme un  élément essentiel de la relance de l’économie et de la transition écologique.

Espérons à ce propos  et regardons de près comment s’organise l’accompagnement dans l’AMI  lancé par la ministre Olivia Grégoire.

Nous suggérons pour en tirer le meilleur parti qu’il soit lui même  suivi par un groupe  chargé d’identifier et comparer ses différentes formes de déroulement. Soyons communauté apprenante

Claude Alphandéry, Président d'honneur du Labo de l'ESS et Hugues Sibille, Président du Labo de l'ESS

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