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Publié le 2 novembre 2020
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L’ESS, une vraie alternative à l’ubérisation du travail !

Qui n’a jamais réservé un logement sur Airbnb, commandé un livre sur Amazon ou encore fait appel à Deliveroo un pluvieux dimanche soir de novembre ? Toutes ces entreprises nous permettent d’accéder à un service grâce à une plateforme numérique. Cependant, les conditions de travail des personnes qu’elles emploient et leur modèle économique font l’objet de nombreuses critiques. L’ubérisation de l’économie est pourtant loin de représenter une fatalité. Des alternatives, relevant de l’économie sociale et solidaire (ESS), existent ! Partons à la découverte des plateformes coopératives numériques, nouvelles sources d’emplois protecteurs et non délocalisables pour un monde plus solidaire.

Des plateformes numériques coopératives pour reprendre le pouvoir face aux grandes entreprises de l’économie collaborative

L’économie collaborative est définie par le Ministère de l’économie comme « un mode novateur de consommation en matière d’échanges sur des plateformes d’offres commerciales de biens et de services entre particuliers ». Si ce terme n’est pas forcément familier, nous sommes tout·e·s coutumiers des nombreuses plateformes d’échanges et de services qui ont fleuri ces dernières années et se réclament de cette économie : elles relèvent de la restauration (Deliveroo, Uber Eats), du tourisme (Airbnb), de la mobilité (Blablacar, Uber…) ou encore de la culture (Amazon). Pourtant, elles n’ont de collaboratif que le nom, puisque les grandes entreprises qui se trouvent derrière ces plateformes se déploient sous des formes capitalistiques souvent peu respectueuses des conditions de travail et des législations relatives aux différents pays, ou ayant massivement recours au statut d’autoentrepreneurs pour outrepasser le droit du travail. Si les services qu’elles rendent peuvent s’avérer utiles dans nos sociétés modernes, la course aux profits qu’elles génèrent et l’enrichissement de quelques actionnaires contribuent à creuser les inégalités sociales et à piéger celles et ceux qui y sont embauché·e·s dans des formes d’emploi très précaires (protection sociale quasi nulle, endettement important pour l’achat et l’entretien des véhicules dans le cas de certaines plateformes de livraison ou de mobilité, forte concurrence pour les missions, conditions de travail éprouvantes, etc.).

plateformes numériques

En réaction à cette économie aussi appelée « de partage », de nombreux·ses acteur·rice·s se sont organisé·e·s dans plusieurs domaines pour mettre en place des plateformes numériques basées sur la coopération, la solidarité et la création d’emplois protecteurs et non délocalisables. C’est le cas de Mobicoop pour le co-voiturage, Les oiseaux de passage pour le tourisme, CoopCycle pour la livraison à vélo, Coopcircuits pour les circuits courts alimentaires ou encore Fairbnb pour l’hébergement. Relevant de l’économie sociale et solidaire (ESS), ces nouvelles coopératives 2.0 disposent de plusieurs avantages. Basées sur le principe fondateur de l’ESS « une personne = une voix », elles permettent aux utilisateur·rice·s, salarié·e·s et dirigeant·e·s d’être co-propriétaires de la plateforme et d’avoir voix au chapitre, mettant tout le monde sur un pied d’égalité. Comme dans toute coopérative, une grande partie des bénéfices générés (environ 45%) est réinjectée dans l’entreprise et les travailleur·euse·s contribuent aux dispositifs collectifs leur ouvrant des droits, tels que le chômage ou la sécurité sociale. Dernier point non négligeable, ces plateformes coopératives sont respectueuses des données personnelles des utilisateur·rice·s puisqu’elles ne sont en aucun cas utilisées à des fins commerciales.

En France, le récent sursaut des chauffeur·e·s Uber et des livreur·euse·s à vélo dénonçant leurs conditions de travail précaires et dangereuses ainsi que les divers scandales relatifs aux conditions de travail dans les entrepôts d’Amazon ont mis à mal ce modèle collaboratif.

Mobicoop

Face à cette précarité de l’emploi, dans plusieurs villes de France, les livreur·euse·s à vélo ont été les premiers à s’organiser et à monter leurs propres coopératives : les coursiers bordelais, Naofood à Nantes, Kooglof à Strasbourg, les coursiers montpellierains... Toutes ces coopératives sont aujourd’hui rassemblées sous la fédération CoopCycle qui permet de « créer une solidarité entre coopératives, réduire leurs coûts grâce à la mutualisation de services, créer une force collective de négociation pour défendre les droits des livreur·euse·s. Tout cela gouverné démocratiquement par les coopératives elles-mêmes ». Les livreur·euse·s à vélo parisien·ne·s ont également monté le collectif syndical Le Clap pour porter le droit des travailleur·euse·s à exercer leur métier dans des conditions dignes.

S’il n’existe pas aujourd’hui un modèle unique de coopérative numérique, une multitude de projets et d’expérimentations voit le jour, guidée par une volonté d’indépendance, de protection des droits et de collectif. Certains mettent la gouvernance au cœur de leur projet, Mobicoop qui fonctionne avec différents centres concentriques où chacun de ces cercles représente une communauté d’acteurs. D’autres, comme CoopCycle, mettent l’accent sur l’emploi et le droit du travail afin de s’émanciper des multinationales.

Les coopératives numériques : un statut protecteur pour les travailleur·euse·s qui gagnerait à être connu

Les entreprises collaboratives telles que Uber, Uber Eats, Amazon ou Deliveroo ont été conçues pour générer un maximum de profits, ce qui contraint les travailleur·se·s à prendre des risques lors des déplacements, et à travailler toujours plus et plus vite pour un faible revenu. Pendant le confinement du printemps 2020 par exemple, les livreurs à vélo étaient les seuls à arpenter les rues désertes des grandes villes alors que rien n’était mis en œuvre par les entreprises pour les protéger de leurs très nombreux contacts quotidiens avec les restaurateur·rice·s comme avec les client·e·s.

Quelles alternatives à ces emplois modernes précaires et risqués ?

Il existe en France, un statut qui permet à des indépendant·e·s de se voir garantir un socle de droits sociaux et une certaine sécurité : le statut d’Entrepreneur Salarié Associé (ESA) d’une Coopérative d’Activités et d’Emploi (CAE). Créé par la loi de juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (loi Hamon), ce statut novateur est particulièrement intéressant car hybride. Il permet d’allier les avantages du salariat (revenu minimal, chômage et protection sociale) avec ceux de l’auto-entrepreneur (maîtrise de ses activités, de son temps de travail et de son organisation). En faisant partie d’une CAE, le·la travailleur·se mutualise sa gestion administrative, comptable et financière avec d’autres, permettant ainsi de diminuer les coûts et de déléguer ces démarches à des professionnel·le·s. C’est par exemple ce que propose Smart, une plateforme coopérative qui accompagne depuis 1998 les freelances (artistes, journalistes, coursier·e·s, consultant·e·s, artisan·e·s…) et compte aujourd’hui 100 000 membres en France et dans huit autres pays européens. Cela permet aux indépendant·e·s de disposer d’un « cadre juridique, économique, social, humain, solide et sécurisé pour développer son activité » tout en apportant un important réseau propice aux échanges de pairs à pairs et au développement d’activités.

Cependant, ce statut peine encore à être connu et adopté par le plus grand nombre. D’après un rapport de la Fondation Jean Jaurès, cela s’explique en partie par le focus médiatique braqué sur les clivages entre plateformes et travailleur·se·s mais aussi compte tenu du manque de moyens alloués à la promotion de l’ESA et des CAE. Faire connaître et promouvoir les plateformes coopératives est l’un des grands défis à relever pour mener les coopératives sur le devant de la scène et prouver l’existence de solutions économiquement viables et socialement justes. L’autre défi majeur concerne le modèle économique de ces plateformes numériques coopératives qui repose sur le bénévolat, comme c’est par exemple le cas de Mobicoop ou de CoopCircuits. Mais après plusieurs années d’existence, Mobicoop renforce son modèle économique avec le recours à la prestation de service et répond à des appels d’offres des collectivités territoriales souhaitant mettre en place des dispositifs de co-voiturage pour les agents. Un système de dons et la possibilité pour les utilisateur·rice·s de laisser un pourboire vient compléter le chiffre d’affaires. Mobicoop compte aujourd’hui une quinzaine de salariés, 150 bénévoles actifs et 700 coopérateurs. Une belle réussite qui encourage à développer ce modèle de plateformes coopératives.

MonEpis

L’économie coopérative numérique : un modèle à suivre pour « le monde d’après » ?

La crise sanitaire de la COVID-19 a permis de mettre en lumière l’utilité de nombre de ces plateformes coopératives qui, pendant le confinement du printemps 2020, ont su s’adapter rapidement pour répondre à l’urgence.

Ainsi, CoopCircuits, mettant librement à disposition des organisateurs de circuits courts une plateforme de vente en ligne, a réussi à faire rapidement émerger des points de distribution locaux au moment où les marchés étaient fermés et où les producteurs peinaient parfois à trouver des débouchés. Pwiic, plateforme de mise en lien entre citoyen·ne·s pour échanger des services, a mis en place, en partenariat avec un réseau de pharmacies coopératives, un espace numérique dédié aux patient·e·s malades, à risques ou isolé·e·s, leur permettant de faire appel à des bénévoles pour aller chercher les médicaments dont ils avaient besoin. Quant à MedNum, la coopérative des acteurs du numérique, elle a lancé la plateforme www.solidarité-numérique.fr pour accompagner les Français·e·s dans leurs démarches quotidiennes, notamment pour pouvoir suivre des cours en ligne ou télétravailler dans de bonnes conditions. La crise sanitaire a décidément révélé l’utilité sociale de plateformes numériques où priment la solidarité et la coopération.

Des collectivités locales commencent d’ailleurs à s’intéresser à ces alternatives, y voyant un potentiel de développement territorial garant de l’intérêt général aussi bien en zones urbaines que rurales. Mobicoop travaille déjà avec des collectivités telles que Nantes Métropole, la ville de Rennes, ou la Métropole de Rouen, en proposant des services de covoiturage et de VTC solidaires pour assurer une solution de mobilité pour tous et toutes, quel que soit l’état de dépendance ou la situation géographique de chacun.e. Un récent rapport de la Caisse des Dépôts prône le développement de l’utilisation de ces plateformes coopératives par les collectivités. Un futur levier de développement territorial ?

Dans un mode en crise et à l’heure où tout le monde cherche à poser les bases du « monde d’après », les plateformes numériques coopératives font parties des solutions à soutenir et développer pour garantir des emplois plus justes et sécurisés et permettre aux travailleur·euse·s comme aux citoyen·ne·s de se réapproprier les services dont ils sont au quotidien les utilisateur·ice·s. Alors, si pour vos prochaines vacances vous pensiez à regarder sur Mobicoop et Fairbnb ?

Rédaction : Sophie Bordères


Crédits photo : Unsplash, Monépi, Mobicoop

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