« À quoi servent les think-tank aujourd’hui ? » Une table ronde de laboratoires d’idées
Lors de l’Assemblée générale du Labo de l’ESS du 5 juin, des représentant·es de think-tanks se sont réunis pour partager des réflexions sur leur positionnement et leur utilité dans un contextes de ruptures, de multiplication des fake news, et de la montée en puissance de think-tanks ultraconservateurs.
Cette rencontre entre Charlotte Debray, déléguée générale de La Fonda, François-Xavier Demoures, membre du comité éditorial de Terra Nova et président d’Etonnamment, Si, Dominique Méda, présidente de l’Institut Veblen, Jérémie Peltier, co-directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, Lucile Schmid, Vice-présidente de la Fabrique écologique et Fatima Bellaredj, nouvelle présidente du Labo de l’ESS, a permis d’aborder des questions diverses concernant le rôle des think-tanks et les défis des années à venir.
Nous vivons un paradoxe : la multiplication du nombre des think-tanks ces 5 dernières années, et en même temps une incertitude croissante sur leur rôle, voire leur crédibilité. La notion même d’expertise est parfois remise en cause, notamment par les forces politiques. Dans ce contexte, à quoi servent les think-tanks ?
Des rôles multiples pour les think-tanks
Dans un monde dans lequel la recherche est de plus en plus contestée ou invisibilisée, et dans lequel elle a peu de moyens, les think-tanks éclairent la complexité autour de la recherche. Ils peuvent servir à rendre visible la pensée, avant même de produire de nouvelles pensées.
Pour aller plus loin, ces structures cherchent à convaincre des acteurs que la pensée et l’action sont liées, et que l’action se pense avec différents outils et procédures. Dans un environnement d’accélération de la prise de parole, et la nécessité grandissante de la présence médiatique, le temps long nécessaire à la réflexion est mis à mal, même dans un contexte de liberté d’expression qui permet de bousculer les idées reçues. Toutefois, en remplissant leur rôle de mise de sujets à l’agenda, les think-tanks jonglent de fait avec la question de la présence médiatique. N’étant pas des partis politiques, les think-tanks ont une liberté de prise de parole qui est essentielle dans le débat public, et qui est à défendre.
Les think-tanks ont un enjeu de langage commun pour des acteurs n’ayant pas l’habitude de coopérer et travailler ensemble. Ainsi, ils ont un rôle de traduction à la fois pour le gouvernement et le grand public, et font un point entre les mondes professionnel, universitaire, politique et économique, avec une volonté de construire des propositions de politique publique qui s’appuient sur des expériences concrètes.
Du défi d’être un think-tank indépendant
Le modèle économique d’un think-tank est un sujet complexe, car l’origine des financements peut impacter les travaux de la structure, si ces financements s’accompagnent de tentatives d’influence qui viennent fragiliser l’indépendance intellectuelle. Un modèle économique qui permet de travailler en toute autonomie est précieux, et permet d’adopter une posture prospective pour travailler sur des sujets librement choisis.
En tant que think-tank, la posture idéologique et éthique doit s’aligner avec l’origine des financements, afin que la liberté de penser soit protégée. L’indépendance peut se définir par rapport à un parti politique, l’Etat, ou des structures privées. Et indépendance ne veut pas dire désengagement : la ligne éditoriale d’un think-tank est souvent en discussion continue, car l’indépendance doit être définie pour exister.
Du fait de leur nature, les think-tanks sont sujets aux changements de financement. La multiplicité des financements permet d’assumer l’origine des financements, et de se protéger d’une éventuelle tentative d’influence face à laquelle il est indispensable de réaffirmer ses valeurs.
Il est essentiel d'avoir des think-tanks qui continuent à produire de la connaissance, à objectiver le débat, à produire des données solides qui permettent ensuite aux décideurs de prendre des décisions en connaissance de cause. Le défi consiste à trouver des moyens de peser dans un débat public de plus en plus sujet à la polarisation !
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Cet article a été rédigé à partir de propos issus de la table ronde des think-tanks de l’assemblée générale 2025 du Labo de l’ESS.
Biographies des intervenant·e·s :
Charlotte Debray, déléguée générale de La Fonda, laboratoire d’idées au service des acteurs associatifs, créé il y a plus de 40 ans, qui produit des analyses, un programme de prospective, mais aussi une revue, des jeux sérieux, des formations, de l’accompagnement.
François-Xavier Demoures, membre du comité éditorial de Terra Nova, président d’Etonnamment, si. Terra Nova se décrit comme un « think tank progressiste indépendant ayant pour but de produire et diffuser des solutions politiques innovantes en France et en Europe ».
Dominique Méda, haute-fonctionnaire, philosophe, sociologue et présidente de l’Institut Veblen pour les réformes économiques, créé en 2010 par Philippe Frémeaux, qui œuvre pour la transition vers un mode de développement soutenable et une économie socialement juste, en promouvant les idées économiques et les politiques publiques en faveur de la transition écologique. Vous oubliez également une revue et un prix de recherche.
Jérémie Peltier, co-directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, créé en 1992 par Pierre Mauroy et qui se définit comme « think-tank, acteur de terrain et centre d’archives au service de ceux qui défendent le progrès et la démocratie dans le monde »
Lucile Schmid, Vice-présidente de la Fabrique écologique, projet que vous avez largement porté pour le créer en 2013 : une « fondation pluraliste de l’écologie » également « think and do tank ».