Tribune
Publié le 6 décembre 2018
Patrick Behm

Patrick Behm

Responsable du groupe de travail Transition énergétique et citoyenne au Labo de l’ESS

Ensemble, relevons le défi de la sobriété énergétique.

Nous y voici, au pied du mur. La démission de Nicolas Hulot fin août a éteint un espoir et mis en lumière l’incapacité du politique à engager le changement structurel indispensable. Quelques semaines après sortait le dernier rapport du GIEC suivi en octobre par la publication des chiffres de consommation d’énergie et d’émission de gaz à effet de serre de l’Observatoire Climat-énergie. Ces chiffres révèlent d’ailleurs une hausse de la consommation bien en dessus des courbes de réduction fixées par la loi LTECV de 20151. Tout cela montre que nous ne sommes pas sur les bons rails : la transition énergétique patine.

L’analyse du Labo de l’ESS nous a conduit à concentrer nos efforts en 2018 sur le point qui fait mal : la sobriété énergétique. Comment réduire nos consommations énergétiques, non pas seulement en diminuant la consommation de nos appareils (comme nos ampoules, nos voitures ou nos bâtiments), ce qui relève de l’efficacité énergétique, mais surtout en repensant nos comportements individuels et collectifs ? Il s’agissait pour nous d’appuyer l’idée que la transition énergétique ne pourra réussir tant que les pratiques n’évolueront pas plus résolument vers la sobriété. Il s’agissait aussi de proposer un ensemble de mesures concrètes qui permettraient d’engager notre société sur la voie d’une réelle sobriété. Autant choisir nos voies d’évolution tant qu’il en est encore temps plutôt que d’attendre la catastrophe annoncée et subir une sobriété brutale et forcée qui viendra inévitablement si nous persévérons dans notre incapacité à rectifier le tir.

En cette fin d’année 2018, plusieurs publications nouvelles ont encore conforté notre analyse. L’association NegaWatt a par exemple consacré un dossier à la sobriété2 en parallèle de notre rapport d’étude, un livre sur le sujet est également sorti fin octobre : Sobriété Énergétique, contraintes matérielles, équité sociale et perspectives institutionnelles 3. Ces publications renforcent, s’il en était besoin, les conclusions de nos travaux.

En premier lieu, la transition énergétique touche beaucoup de domaines (mobilité, alimentation, travail, loisirs, éducation…) de sorte que la réflexion ne peut être que globale et se fédérer dans l’idée d’une transition sociétale. La nécessité de cette transition globale se heurte au modèle économique dominant qui impose une surconsommation toujours plus forte. Une autre croissance est à définir avec un récit qui promeuve la sobriété comme vertu cardinale de progrès et de bien-être, nous sortant par le haut du consumérisme du XXe siècle.

Ensuite, rien ne sert de faire peser l’échec sur un seul plateau de la balance, soit en culpabilisant les citoyens qui seraient incapables de changer leur comportement quotidien, soit en fustigeant le politique qui ne voudrait sortir d’une posture court-termiste. Tout au contraire, la solution passera nécessairement par des dynamiques de rétroaction positive entre les différents niveaux de notre société : politique nationale et supra-nationale, action des territoires, prise de conscience des citoyens, participation active des entreprises à la transition.

Enfin, l’équité sociale doit être à la base de la réflexion. C’est vrai au niveau national : est-il décent de parler de sobriété aux 3 millions de ménages français en situation de précarité énergétique ? Mais c’est également vrai aussi au niveau international : si la France peut et doit montrer l’exemple, la transition énergétique n’est évidemment pas perçue de la même manière dans les pays pauvres de l’hémisphère Sud, qui sont de surcroît les premières victimes du réchauffement climatique.

Et pour finir, l’urgence touche aussi à la survie de nos démocraties : il est à craindre que de la crise climatique ne découlent des crises politiques au niveau international, créant un contexte plus propice aux replis nationalistes qu’aux progrès démocratiques. Le mouvement n’a-t-il pas déjà commencé ?

Le défi est donc immense mais la difficulté ne doit pas nous faire baisser les bras. On connaît la formule d’Albert Einstein : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire ». Retenons la leçon, et constatons qu’un espoir réel se lève, tant on voit se multiplier des signaux de frémissement. Ainsi, la prise de conscience s’accélère, en particulier chez les nouvelles générations. De nombreuses initiatives individuelles et collectives locales telles que les repair cafés, les bricothèques, les ressourceries etc.4 ouvrent la voie vers une autre économie. Les territoires sont de plus en plus motivés et performants à engager une autre politique énergétique comme nous montrent les exemples phares de Loos en Gohelle (Nord-Pas de Calais) ou Ungersheim (Haut-Rhin) mais ils sont loin d’être les seuls. Les contours du nouveau monde se dessinent déjà. Et si la bascule pouvait advenir plus vite qu’on ne le pense ? À nous de l’accélérer.

  • 1Division par deux de la consommation énergétique et division par 4 des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050
  • 2La sobriété énergétique – Pour une société plus juste et plus durable, rapport négaWatt, octobre 2018
  • 3Ouvrage collectif, coordonné par Bruno Villalba et Luc Semal, éditions Quae, octobre 2018
  • 4De nombreux autres exemples concrets sont mis en avant dans le rapport Sobriété Energétique du Labo de l’ESS
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